Société Française d'Exobiologie

L’expérimentation et les missions spatiales : le Diable se cache toujours dans les détails...

Par Michel Viso

Les activités spatiales actuelles et futures, sont héritières d’une culture technique qui s’est développée dans un contexte où se mélangeaient l’expérimentation technique, les besoins militaires et les balbutiements d’une nouvelle filière industrielle. Ce mélange a créé une communauté ou certes l’aspect militaire est devenu marginal (en Europe) mais où, aujourd’hui encore les modes de fonctionnement, de conception et de décision demeurent originaux par rapport aux filières industrielles voisines (aéronautique, mécanique, informatique…) ou aux disciplines scientifiques traditionnelles. (Par Michel Viso [1])

1) LES MISSIONS SPATIALES

Il est possible de définir cinq grands types de missions spatiales en fonction de leur destination, de leur objectif et du mode de récupération des données.

a) Vols paraboliques, fusées sondes et ballons

Avant d’entreprendre de grandes missions les agences spatiales ont proposé aux scientifiques des missions relativement simples. La plupart des agences continuent à proposer ces moyens aux scientifiques même si leurs applications sont maintenant plus limitées.
Les avions dédiés aux vols paraboliques (AIRBUS 0G, ILIOUCHINE 76 et KC 135) sont utilisés pour des expériences scientifiques mais aussi pour des expériences et des démonstrations techniques. Les fusées sondes offrent aussi des possibilités pour certaines des expériences en micropesanteur ou des expériences d’observation astronomique. Enfin les vols de ballons stratosphériques, une des spécificités du CNES, offrent des possibilités d’observation astronomique (PRONAOS, etc..) et d’expérience de radiobiologie. Ces expériences relativement simples, d’accès aisé sont dans tous les cas un excellent entraînement pour les scientifiques et les ingénieurs avant les expériences spatiales plus ambitieuses en orbite ou plus lointaines.

b) Les missions habitées et les capsules récupérables

Les missions habitées sont bien sûr lancées à partir de la terre et le but est de récupérer les spationautes dans une partie dédiée de l’engin spatial. Actuellement les missions habitées des Russes et des Américains ont pour objectif la Station Spatiale Internationale. Les vols chinois à venir servent à acquérir les techniques et le savoir faire nécessaire à l’occupation humaine de l’orbite basse.
Les moyens mis en œuvre pour lancer et récupérer les spationautes sont extrêmement complexes ; l’exemple le plus abouti de la complexité est sans conteste la navette spatiale américaine. Les systèmes russe (Soyouz) et chinois (Longue Marche III) demeurent plus simples et mieux maîtrisés car il s’agit de systèmes non-récupérables (expendable in english). Ils n’en demeurent pas moins très délicats et le nombre de points de panne unique à effet potentiellement fatal reste élevé. La mise en orbite dépend essentiellement du lanceur mas toutes les phases de retour nécessitent la réalisation parfaite de chaque étape de la séquence (freinage, séparation, entrée et décélération atmosphérique, déploiement des parachutes, atterrissage)

Les capsules récupérables, principalement les capsules russes Photons et Bions procèdent des mêmes principes. En cas d’incident ou d’accident des conséquences sont moins dramatiques que la perte de vies humaines mais leur mie en œuvre est pratiquement aussi complexe.

Sur le plan scientifique, l’intérêt des vols habités ou des capsules récupérables est de pouvoir envoyer des préparations extemporanées (il est possible de préparer des échantillons quelques heures à quelques jours avant le lancement) et de récupérer physiquement des échantillons afin de les examiner dans les laboratoires. Il est aussi possible d’envoyer des instruments de mesure et d’observation ou des automates réalisant des expériences. Dans ce cas, les données sont transmises au sol au fur et à mesure de leur acquisition en utilisant les moyens de transmissions classiques pour ces missions (réseau russe ou américain plus quelques antennes de l’ESA).

En ce qui concerne l’exobiologie, les expérimentations réalisées dans ce cadre sont les expériences de récupération de poussières interstellaires (COMET), ou d’exposition d’échantillons aux conditions spatiales (EXPOSE, BIOPAN, EXOBIO…) ou à la rentrée atmosphérique (STONE)

c) Les observatoires en orbite

Les astronomes on été les premiers à s’intéresser aux capacités d’observation que procure le vide spatial. Ils ont conçu et réalisé des observatoires spatiaux de plus en plus complexes, de plus en plus performants et de plus en plus coûteux. Ces observatoires sont placés en orbite Terrestre (HUBBLE, XMM Newton…) ou envoyés aux points de Lagrange pour des observations à très long terme (SOHO). La réalisation de ces instruments est délicate car il est nécessaire de diminuer autant que faire se peut les points de panne unique. Il est donc crucial de choisir les composants les plus fiables et de multiplier les redondances des systèmes. Généralement ces observatoires sont développés par une grande agence spatiale (ESA, NASA, JAXA…) qui finance la conception et la réalisation du système ainsi que le lancement. Puis elle fait appel à des partenaires et des coopérations pour la fourniture d’instruments particuliers qui complètent l’observatoire mais utilisent les capacités du système. Il est donc fréquent de trouver des instruments européens sur un observatoire japonais, des instruments européens sur un observatoire américain etc…

Ces observatoires sont pilotés depuis les centres de contrôle et utilisent pour la transmission des ordres ou pour la récupération de données des antennes souvent dédiés à ce type de mission. Il n’est généralement pas besoin d’avoir une visibilité radio continue de l’observatoire. Ces missions sont relativement simples au point de vue des opérations « sols » mais elles ne sont pas exemptes d’aléas (HUBBLE à attendu près de trois ans avant d’être lancé !!)

Pour l’exobiologie, il y a peu d’observations dédiées mais les connaissances acquises sont utilisées dans les modélisations et les hypothèses sur la contribution des éléments et des évènements cosmiques à l’apparition de la vie sur Terre.

d) Les missions interplanétaires

Une mission interplanétaire consiste à envoyer une ou plusieurs sondes au-delà du champ d’attraction terrestre vers des corps célestes ou vers une ou plusieurs planètes du système solaire. Elle peut effectuer des observations à distance du corps céleste visé en se mettant en orbite autour (« Orbiter » de type MARS EXPRESS, MARS RECONNAISSANCE ORBITER) ou « simplement » de passer à proximité avant de poursuivre son chemin (« Flyby » de type VOYAGER, GIOTTO). Dans certains cas l’objectif est d’atteindre la surface du corps céleste visé pour y déposer un observatoire (« lander » de type VIKING) ou un observatoire mobile téléguidé depuis la Terre (« rover » de type MARS EXPLORATION « ROVER »). Certaines missions sont mixtes et peuvent envoyer un orbiter (CASSINI, ROSETTA) et un « lander » (HUYGENS, PHYLAE). Dans le cas de CASSINI/HUYGENS la situation est encore plus compliquées car la sonde Cassini orbite autour de Saturne alors que Huygens visait un de ses satellites.
Toutes ces missions sont très spectaculaires et maintenant les plus médiatisées. Ces missions demandent une planification sur des très longues périodes et, en raison des contraintes de la mécanique du système solaire, ont des créneaux de lancement de quelques jours à quelques heures et avec des occurrences rares (Mars) ou même parfois unique (ROSETTA). Ces missions sont conçues de nombreuses années avant leur lancement et encore plus avant la réception et l’utilisation des données. Les contraintes sur le matériel et sur les opérations sont importantes et tempèrent ou obèrent souvent les performances scientifiques. Ces missions sont en général proposées par les grandes agences spatiales qui assument les coûts « systèmes ». Les agences font appels à des propositions scientifiques pour la réalisation des « charges utiles » et des instruments.
La transmission des ordres et la réception des données font appel à un réseau de trois antennes de la NASA (Californie (USA), Espagne, Australie) qui constitue le « Deep Space Network » dédié, comme son nom l’indique aux missions très lointaines.
C’est à partir de ce genre de mission que l’astrobiologie tire l’essentiel des données qu’elle peut exploiter.

e) Missions hors catégorie

Les missions habitées vers la Lune (APOLLO) ou vers Mars atteignent un tel degré de complexité et surtout sont maintenant si rare qu’il est impossible d’en faire une catégorie générique. Les objectifs premiers voire même seconds ou troisièmes ne sont pas scientifiques. Les enjeux sont principalement politiques et emblématiques. La priorité absolue est la réussite de la mission et la sécurité des spationautes. Les activités scientifiques viennent souvent pour justifier ou « colorer » la mission. Elles peuvent aussi bien être le fruit de plusieurs années de préparation ou au contraire se faire « embarquer » au dernier moment pour des raisons d’opportunité (si elles sont simples).

2) PARTENARIATS ET COOPERATIONS

Les pays spatiaux poursuivent des objectifs différents mais dans tous les cas, la capacité de lancer des satellites et en maîtriser les opérations sont les attributs d’une grande puissance.

La Chine et l’Inde ont des capacités de lancement, mais, des deux, seule la Chine poursuit un programme de vol habité et d’exploration scientifique. L’Inde ne semble pas intéressée par les vols habités mais commence un programme d’exploration scientifique (autre que la télédétection ou les télécommunications) notamment avec un programme d’exploration automatique de la Lune.

La Russie vit sur son acquis, et poursuit des activités de lancement et d’exploitation de la Station Spatiale Internationale dont elle est partenaire. Actuellement alors qu’elle reste le premier pays pour les activités de lancement commerciaux, elle a peu de programmes scientifiques d’exploration. Elle fut cependant le pays à l’origine de nombreuses premières tant sur la Lune que sur Venus.

Le Japon avec la JAXA réorganisée à des ambitions dans de nombreux domaines. Il est partenaire de la Station Spatiale Internationale. Il fournit un très gros module (le JEM). L’agence a investi sur le vol habité à bord de la Station Spatiale Internationale en utilisant les moyens américains. Indépendamment, de ce programme qui consomme avec les lanceurs une partie prépondérante de son budget elle est à l’origine de plusieurs missions ambitieuses comme NOZOMI ou HAYABUSA.

La NASA demeure le plus gros investisseur du spatial qui a su tisser un programme ambitieux d’exploration au-delà de la Station Spatiale Internationale. C’est la seule agence avec un programme régulier d’utilisation des différentes catégories de mission. En 15 ans elle à mis en place une série d’observatoires dans les principales gammes de longueur d’onde. Elle à un programme régulier d’exploration de Mars. Elle est à l’origine de la plupart des programmes ambitieux d’exploration du système solaire. En tout cas elle est la seule à présenter des propositions qu’elle peut réaliser seule.

L’ESA l’agence Européenne a misé l’essentiel des efforts sur le développement des lanceurs de la filière Ariane. Les programmes scientifiques fonctionnent selon une logique particulière : Le programme scientifique obligatoire, auquel tous les membres de l’ESA contribuent à proportion de leur PIB, propose des missions (ROSETTA, MARS EXPRESS…). L’ESA assure la réalisation du système et finance le lancement ainsi que les opérations en vol. Les états contribuent en plus, sur une base de volontariat, en fournissant ce qu’il est convenu d’appeler la charge utile ou les instruments. La France a ainsi fourni la caméra OMEGA sur Mars Express, les britanniques fournissant BEAGLE2. L’ESA propose aussi régulièrement des programmes optionnels auxquels souscrivent les états en fonction de leurs intérêts scientifiques ou industriels. C’est par exemple le cas du programme de la Station Spatiale Internationale auquel ont souscrit l’Allemagne pour fournir Colombus et la France pour fournir des ATV et des lancements Ariane V. Les autre pays contributeurs obéissent a des logiques nationales industrielles ou scientifiques pour placer tel ou tel industriel avec tel ou tel instrument. Les instruments et les projets scientifiques demeurent marginaux par rapport à ces grands programmes.

Actuellement, l’ESA propose un programme optionnel de préparation technologique à l’exploration du système solaire ; le programme AURORA. L’un des points forts de ce programme sera le lancement vers Mars d’une sonde équipée d’un « lander » et d’un « rover ».

Les agences nationales des pays membres de l’ESA jouent des rôles divers en fonction de leur ambitions et surtout de leurs moyens. Le DLR pour l’Allemagne, l’ASI pour l’Italie et le CNES pour la France jouent un rôle moteur pour les programmes et un rôle technique important. Ces rôles sont parfois en concurrence entre les agences mais aussi avec les centres de l’ESA.

Quoiqu’il en soit, actuellement les grandes missions spatiales sont le fruit de coopérations bilatérales ou multilatérales. La Station Spatiale Internationale est un exemple de coopération avec des accords signés au niveau gouvernemental. Heureusement il existe des coopérations de moindre ampleur ou les accords entre agences spatiales suffisent. C’est le cas pour des fournitures ESA sur le télescope HUBBLE ou des fournitures Européennes sur les MERs de la NASA.

La coopération est maintenant devenu la règle. Elle oblige à des discussions et des concessions, mais elle ouvre aussi de nouvelles possibilités techniques. L’un des avantages majeurs de ces coopérations est qu’elles consolident les projets vis-à-vis des tutelles. Sans l’engagement de la NASA à lancer HUYGENS, la mission CASSINI aurait probablement été annulée par le Congrès des USA. De même en expliquant que la sonde HUYGENS était indispensable à CASSINI et que les américains l’attendaient il devenait impossible de l’annuler. Il est raisonnable de penser que ce principe se poursuivra dans les années à venir.

Pour des raisons politiques et stratégiques les agences nationales sont invitées par leur gouvernement à coopérer avec la Chine et l’Inde. Ces coopérations qui existent déjà à bas bruit dans certains domaines (observation de la terre par exemple, astronomie) se développent mais sont à traiter au cas par cas. Elles sont difficiles mais peuvent cependant se révéler scientifiquement très fructueuses.

3) LE DEVELOPPEMENT TYPE D’UNE MISSION SPATIALE

Traditionnellement une mission spatiale se décompose en 7 phases :

  • la phase de conception préliminaire (Phase 0) ;
  • la phase de définition préliminaire avec quelques chiffres (Phase A) ;
  • la phase de définition avancée avec des chiffres et des propositions techniques (PhaseB) ;
  • la phase de maquettage et de test des principes (Phase C) ;
  • la phase de construction et de test ainsi que le lancement (PhaseD) ;
  • la phase d’exploitation de l’engin spatial proprement dit (Phase E) ;
  • la phase de fin de la mission et de mise-à-mort de l’engin spatial (Phase F).

Toutes ces phases sont classiques mais encore assez étrangères à la culture scientifique. Elles s’appliquent aux missions mais aussi aux instruments. Elles sont cependant importantes à considérer. Par exemple pour proposer un instrument sur « MARS SMART LANDER » (MSL) il faut qu’au moment de la sélection les instruments soient déjà pratiquement en phase B. c’est-à-dire que les responsables peuvent s’engager sur une masse, un volume, une consommation et une date de livraison. Les points durs techniques doivent avoir été surmontés

Les principales phases, vues du scientifique, sont plutôt les suivantes :

a) L’idée : phase de proposition

En prenant comme exemple la prochaine mission ESA vers MARS il est possible de pressentir la dure réalité de la préparation de missions scientifiques.

Au départ l’ESA a lancé un appel à idées pour le programme Aurora. A partir de cet appel à idée, l’ESA a déterminé qu’il existait une demande pour l’exploration de Mars. Elle se propose donc de réaliser une mission EXOMARS et notamment pour l’exploration à la recherche de traces de vie ou de molécules d’intérêt exobiologique. Ainsi de « Topical team » (Assemblées de scientifique) en Program Boards (assemblées des agences spatiales des pays participant au programme) s’est élaborée le projet « PASTEUR ». En résumé un gros « rover » martien avec plein d’instruments pour rechercher les molécules et la vie !!

Ensuite l’ESA a lancé un appel à proposition directement auprès des scientifiques puisque dans le cadre de cet ambitieux programme, l’ESA payait directement l’ensemble de la mission. Un comité de pairs à sélectionne les meilleures propositions et l’ESA à commencé à les assembler pour faire une charge utile sur le « rover ». Les scientifiques se sont réunis au sein d’un Pasteur Science Working Group. Cela correspond à une phase 0/A

b) La décision : la phase clé

L’autorisation et la décision de financement du projet EXOMARS/PASTEUR doivent se prendre en décembre 2005 lors de la réunion des ministres des états membres. D’ores et déjà, l’ESA sait que les conditions de financement ne sont pas celles qui étaient prévues. Elle doit donc revoir les conditions de financement. L’ESA a informé les agences que la charge utile de PASTEUR sera plus limitée que prévue et surtout qu’elle sera désormais financée directement par les états membres ! En d’autres termes se sont les états participants qui en sus de leur participation financeront les instruments (de leurs scientifiques). Avec cette approche, le coût de la mission serait de l’ordre de 580 million d’€ pour l’ESA au lieu de 2 milliard d’€ pour la mission la plus ambitieuse. Il reste encore du chemin avant que la décision formelle soit prise, mais il est probable qu’elle sera positive. Les conséquences sont cependant déjà perceptibles :
Au lieu d’une grande mission scientifique, EXOMARS sera une mission de démonstration et la priorité sera technologique. Elle n’en demeure pas moins ambitieuse car pour l’Europe chaque étape après la mise en orbite sera une première avec chacune ses risques (entrée atmosphérique, descente ; atterrissage, déploiement au sol..). Autrement dit, la charge utile scientifique devient secondaire et sera la variable d’ajustement des problèmes de masse et d’énergie

c) La réalisation : la phase critique

Une fois la décision prise de faire cette mission, il faudra sélectionner de nouveau une charge utile scientifique en croisant le mérite scientifique, les possibilités techniques, le contexte politique et les capacités de financement des pays. Le système sera confié à des industriels sous la maîtrise d’ouvrage de l’ESA. Il est probable que petit à petit la charge utile se fasse grignoté par le système et les redondances nécessaires. Les pays contributeurs développeront chacun leurs instruments qui seront finalement assemblés par « l’intégrateur » sur le « rover ». Les scientifiques seront appelés à diminuer leurs exigences de masse, d’énergie et de transfert de données. Ils devront aussi en rabattre sur leurs contraintes opérationnelles et simplifier les étalonnages et autres blancs ou tests de référence. Ils devront aussi probablement raccourcir les tests de compatibilité et de fonctionnement lors de l’intégration.
Ces phases sont les phase B, C et D décrites plus haut. Elles avanceront en parallèle pour le système lui-même, les sous systèmes et les instruments.

d) L’exploitation : la phase de récompense

Enfin un jour EXOMARS sera inséré en orbite martienne et PASTEUR roulera sur Mars. Si la partie technique de la mission est un succès, les projecteurs et les spots des plateaux télévisés brilleront de tous leurs feux quelques jours pour célébrer ce succès sans précédent. Les scientifiques commenceront alors à recevoir et à traiter des données et devront déployer des trésors d’astuce et d’imagination pour exploiter les données qui leur parviendront. S’il y a des problèmes, ils seront discutés loin des projecteurs et la responsabilité sera toujours imputée au scientifique qui ne devait pas accepter de faire voler son instrument si les conditions d’exploitation ne lui semblaient pas les meilleures. De toute façon c’était une mission technologique…
Et puis initiée en l’an 2000, décidée en 2005, lancée en 2011 les premiers résultats arrivant en 2013 (si EXOMARS est lancé en 2013 les premiers résultats arriveront en 2016) il n’est pas étonnant qu’il y ait des problèmes…La technologie est dépassée, il fallait faire autrement etc…

4) EXEMPLES VÉCUS

Deux exemples réels provenant de deux petites expériences illustreront les pièges et chausses trappes qui attendent l’expérimentateur spatial.

a) IBIS végétal

IBIS : un automate développé par le CNES pour faire des expériences de biologie spatiale sur des capsules automatiques de type PHOTON/BION. Cet automate complexe permettait de transférer des cassettes expérimentales dans différents compartiments maintenus à des températures différentes, de placer et d’enlever des cassettes sur une centrifugeuse sans l’arrêter et de déclencher par une interface mécanique trois actions différentes par cassette aussi bien sur la centrifugeuse en rotation que sur les cassettes disposées sur le plateau qui les maintien en micropesanteur. Pour répondre à une demande scientifique le CNES a demandé à un industriel de concevoir et fabriquer une cassette pour la croissance de graines végétales après hydratation en vol. Il en est sorti une cassette à la conception originale qui pouvait assurer successivement une hydratation des graines, une fixation et un rinçage avec une solution tampon. Bien entendu ces cassettes étaient très onéreuses, fragiles et la conception à pris du retard. En résumé elles n’ont jamais pu être testées en continu avec le logiciel de vol d’IBIS. Le test avec le matériel de vol, le logiciel de vol et les échantillons préparés comme pour le vol s’appelle un « Experiment Verification Test » (EVT). C’est un passage souvent exigé des scientifiques mais difficile à organiser car les instruments, les sous systèmes comme les cassettes et les préparations obéissent à des calendriers différents.
En vol après le rinçage de la première cassette végétale, l’instrument s’est mis hors circuit et a envoyé un message d’erreur au sol : « cassette végétale bloquée ». L’automate s’est mis hors circuit et est revenu ainsi au sol. Concrètement, les expériences réalisées avant le blocage et fixées chimiquement ont été récupérées mais trois expériences ont été perdues.
Cause de la panne : l’interface mécanique entre a cassette et l’instrument pour réaliser les actions pouvait prendre au départ aléatoirement 2 positions différentes. Pour prendre en compte cette position aléatoire un tour supplémentaire de pas-de-vis en fin d’expérience avait été programmé. Malheureusement l’usinage d’un picot de blocage sur l’axe en question ne permettait la réalisation que de ¾ de tour supplémentaire et pour 20µ d’aluminium en trop, le système s’est bloqué. Cette panne était pratiquement indétectable sans la réalisation d’au moins cinq à dix tests complets avec matériel et logiciel de vol.

b) ICE first

ICE First (International Coenorhabditis elegans First Experiment) est le fruit de l’expérience et du hasard. Cette expérience de conception française consistait à faire voler pour le compte de scientifiques européens, américains, japonais et canadiens des petits nématodes (Coenorhabditis elegans) sur la Station Spatiale Internationale à l’occasion du vol d’un Soyouz vers l’ISS. Ce vol acheté par l’agence spatiale des Pays Bas organisait l’emport en tant qu’ingénieur de bord d’un astronaute Hollandais sur le vaisseau russe. Cette petite expérience qui parasitait un instrument développé par ailleurs, a été conçue, développée, décidée et réalisée en moins d’un an. Cette rapidité, fruit de circonstances inattendues, est exceptionnelle dans le domaine spatial. Hormis les difficultés inhérentes à la structure internationale du projet, il fallait assurer un calendrier de réalisation très tendu en terme spatial :
Les nématodes devaient être préparés au plus cinq jours avant le lancement et être conservés pour chaque expérimentateur à différentes températures et transportés de Toulouse (lieu de préparation) à Baikonour sous température contrôlée. En vol ils devaient subir différents programmes de traitement. Enfin dès leur arrivé au sol certains devaient être filmés, d’autres conservés à +12°C, d’autres enfin congelés dans l’azote liquide avant d’être rapatriés sur Moscou puis Paris et Toulouse.
Chaque étape est un point de panne unique. Grâce à l’expérience accumulée lors de missions semblables il a été possible de surmonter les écueils auxquels d’autres se sont heurtés perdant ainsi l’essentiel de leurs objectifs scientifiques. A titre d’exemples non exhaustifs voici quelques un des problèmes annexes qui ont été résolus :

Transport de valises thermostatées actives sur de vols commerciaux transportant des passagers : dérogation de la DGAC, accord des services Transports dangereux et Transports exceptionnels d’Air-France, accord des commandants de bord des différents vols. A noter que ces dérogations ne sont valables que pour les avions immatriculés en France.

Passage des postes de sécurité sans passage des échantillons aux rayons X : Accord et assistance de la Police de l’Air et des Frontières et du personnel d’escale d’Air France (à l’aller comme au retour).

Passage de la douane Russe : accord et assistance des services vétérinaires français et assistance des services de dédouanement de l’ESA mais surtout de l’opérateur Russe ENERGIA (à l’aller comme au retour).

Respect des chronologies et des températures : présence permanente auprès de l’ESA des opérateurs CNES qui gardent la responsabilité effective de l’expérience.

Parmi les points critique par exemple : sur les 16 containers Biorack Type1 présents à Baikonour, 12 ne rentraient pas dans les logements prévus. Bien que fournis par l’ESA leurs dimensions étaient en dehors des spécifications initiales et dépassaient les tolérances admises. Lime et papier de verre emportés dans la malle de secours de la COMAT sont venus (discrètement) à bout du problème. Pour des raisons pratiques et techniques, le « fit test » matériel de vol/matériel de vol n’avait pu être réalisé avant. Les containers se promenaient entre Ulm, Friedrichshaffen et Toulouse pendant que l’instrument KUBIK qui devait les recevoir se promenait entre Toulouse, Noordwijk et Baikonour.

D’autres points critiques on été résolus et finalement les échantillons attendus sont parvenus après un vol de 10 jours sur l’ISS entre les mains des scientifiques qui les attendaient à Toulouse.

5) PETITE PHILOSOPHIE A L’USAGE DES EXPÉRIMENTATEURS

Lorsque les agences font appel à des propositions scientifiques elles organisent des groupes scientifiques avec des Principaux Investigateurs (PIs) et de Co-Investigateurs (CoIs). Cette organisation est héritée des pratiques développées aux USA

a) Le Principal Investigateur

Il est responsable vis-à-vis du chef de projet des performances et du calendrier de fourniture de l’instrument dont il a la charge scientifique. Il est aussi responsable de la détermination de la quantité de données transmise et des taux d’échanges entre le système et l’instrument. Il reçoit les données et est chargé de les distribuer aux Co-Investigateurs. Le Principal Investigateurs est le principal et généralement le seul interlocuteur des agences et du chef de projet. Il est responsable des publications qui sortent de cette expérience. Il participe aux Ivestigator Working Group (IWG) qui dirige sur le plan scientifique la mission et son exploitation.

b) Le Co-Investigateur

Les Co-Investigateurs sont responsables de sous systèmes d’une expérience donnée. Généralement ils sont partie-prenante dès la proposition initiale mais ils peuvent être associé à un Principal Investigateur à l’instigation d’une agence spatiale. Ils ont des responsabilitésgénéralement bien définies mais ne sont pratiquement jamais en contact directavec l’agence spatiale ou le chef de projet.

Toutes ces distinctions correspondent à des responsabilités scientifiques et morales importantes et dans le petit univers du spatial il est fondamental de jouer avec rigueur le rôle qui vous est dévolu

c) En tout cas !

Quelque soit le rôle précis dévolu par les agences, lorsque les expérimentateurs se trouvent impliqués dans un programme ou un projet scientifique spatial ils doivent garder à l’esprit les conditions pratiques de sa réalisation. Il n’est pas possible de faire abstraction des délais d’obtention des résultats (souvent longs) et des délais de fourniture de matériel ou même de spécifications (souvent courts). Il est nécessaire d’anticiper les phases de préparation, de réalisation et d’exploitation de l’expérience.

Dans la pratique il faut parfois compromettre sur les durées de l’expérience, la quantité de données récupérées en vol, le nombre de répétition d’une observation. Par contre l’expérience montre qu’il ne faut jamais compromettre au sol sur les tests d’interface, les tests de logiciel avec les logiciels de vols et en cours d’opération sur les mises à zéros, les blancs, les purges des systèmes.

Dans le domaine spatial tant que les données ou les échantillons ne sont pas dans le laboratoire dupliqués, préservés et prêts à être exploités rien n’est jamais acquis.

6) EN GUISE DE CONCLUSION

Trois aphorismes et une recommandation pour vous aider à vous retrouver dans la jungle des agences spatiales et des ingénieurs les représentant ou représentant les industriels :

a) Aphorisme 1

Si les succès techniques permettent la plupart du temps de masquer des échecs scientifiques un échec technique n’a pratiquement jamais permis de présenter un succès scientifique.

b) Aphorisme 2

« Few people committed is widely more efficient than a lot involved »

c) Aphorisme 3

Ce n’est pas parce que vous n’avez pas compris quelque chose qu’il faut acquiescer ; au contraire…

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[1] Michel Viso est membre du CNES. Vétérinaire de formation, il a participé à l’encadrement de la préparation de nombreuses missions spatiales. Il est animateur la thématique Exobiologie au sein de l’agence spatiale Française

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