Société Française d'Exobiologie

Mars : de nouveaux mots pour une nouvelle histoire

Michel Viso et Jean-Pierre Bibring

Mars Express est la première mission européenne en direction de la planète Mars [1] Les cinq instruments placés sur le satellite ont apporté une abondante moisson de données nouvelles. Les équipes scientifiques pousuivent leur travail d’interprétation en triant le « bon grain de l’ivraie ». L’équipe du spectromètre OMEGA dirigée par J.-P. Bibring de l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay, a déjà trouvé dans sa récolte suffisamment d’informations pour écrire une nouvelle histoire géologique de la planète, et le rôle de l’eau à l’état liquide. Il a même fallu de nouveaux mots pour le dire…

(Numéro 8 de la revue électronique du CNES : E-space & Science)

Trois grandes ères fondées [2], sur la datation des zones géographiques de Mars par comptage des cratères et sur quelques hypothèses d’évolution géologiques, décrivaient jusqu’à présent l’histoire de cette planète. La cartographie précise des minéraux de la surface grâce au spectromètre imageur OMEGA [3], installé à bord de la sonde européenne Mars Express, dévoile une nouvelle histoire géologique de Mars.Pendant les 687 jours terrestres que dure une année martienne, OMEGA a cartographié 90% de la surface de la planète avec une résolution spatiale de 1.5 à 5 km et plus de 5% avec une résolution spatiale de 400 m. Une grande variété de minéraux a été détectée et les processus, qui les ont altérés, en ont étédéduits. En se basant plus spécialement sur le rôle de l’eau dans la modification des roches de surface, l’équipe de chercheurs conduite par Jean-Pierre BIBRING a donc pu réécrire l’histoire de Mars. Le spectromètre a révélé la présence de trois types de minéraux :

  • d’une part des minéraux hydratés : des sulfates, localisés dans des dépôts stratifiés de « VallesMarineris », dans Terra Meridianiainsi que dans les dunes noires du pôle nord et des phyllosilicates [4],identifiés dans des terrains plus anciens comme le plateau volcanique Syrtis Major ou les régions de Nili Fossae et de Marwth Vallis. L’absence de phyllosilicates dans des zones présentant des ravines ou au fond des cratères des plaines du nord écarte ainsi l’hypothèse de la présence d’un océan ancien sur ces régions.
  • d’autre part des oxydes ferriques anhydresprésents dans les régions brillantes et rougeâtres de Tharsis et d’Arabia. Chacun des trois types de minéraux s’est formé suivant un processus différent n’ayant pu se produire que dans un climat particulier. Grâce à l’étude de ces processus, les chercheurs proposent un nouveau découpage de l’histoire de Mars en trois grandes périodes, chacune d’elles correspondant àun climat martien différent :

Le Phylllosien (argiles/feuilles en grec)

La première ère, la plus ancienne, a commencé juste après que la planète se soit formée, il y a 4,5 milliards d’années. Elle est caractérisée par les phyllosilicates, des argiles qui se sont formées par l’altération des roches sous une couche d’eau de surface, ou dans des sous-sols gorgés d’eau. Ces argiles témoignent donc d’un climat tempéré laissant de l’eau liquide disponible en grande quantité. Cette ère martienne, semble être la période pendant laquelle les conditions auraient été les plus favorables à l’apparition de la vie sur Mars.

Un changement radical de l’environnement a marqué la fin de la première période, notamment un arrêt brutal du champ magnétique global qui aurait favorisé l’échappement massif des molécules de la haute atmosphère. Celle-ci serait devenue moins dense, la pression atmosphérique aurait chuté, l’eau liquide se serait raréfiée et les roches auraient cessé de s’altérer et de former des phyllosilicates.

Le Theiikien (sulfate en grec)

Pendant cette période, une activité volcanique intense a libéré d’importantes quantités de gaz riches en composés soufrés, créant ainsi un environnement très acide. Cette activité volcanique a aussi entraîné la remontée du front de glace souterrain provoquant ainsi l’arrivée de grandes nappes d’eau à la surface de Mars. Pendant la deuxième ère, l’eau liquide a existé de façon transitoire. Le souffre s’est dissout et a alors précipité sous forme de sulfates, aux endroits où de l’eau s’est infiltrée. Le Theiikien s’est achevé avec la disparition des dernières traces d’eau liquide en surface et la raréfaction de la vapeur d’eau atmosphérique.

Le Sidérikien (fer en grec)

L’ère martienne la plus longue a commencé il y a environ 3,5 milliards d’années et se poursuit encore aujourd’hui. Il y a peu d’eau impliquée dans cette période. Les roches en contact avec l’atmosphère ont été progressivement et lentement oxydées. Le fer s’est transformé en oxydes ferriques anhydres : le sol a pris un aspect rouillé, celui qui confère à la planète sa couleur rouge. Mars est devenue la planète extrêmement froide et sèche que nous connaissons aujourd’hui.
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Actuellement, l’environnement martien est très hostile à la présence de formes de vie. Si celles-ci existent éventuellement aujourd’hui, elles ne se trouveraient que dans des « niches écologiques » abritées des rayonnements ionisants et oùla température est clémente. Le Phyllosien est l’ère ayant pu réunir les conditions les plus favorables à l’apparition de la vie. Dès lors, c’est dans les phyllosilicatesque les premières réactions biochimiques auraient pu avoir lieu. De plus, si les phyllosilicates contiennent des traces de vie, elles ont été protégées par les basses températures martiennes et sont donc accessibles ànos instruments d’analyse. Par conséquent, les sites riches en phyllosilicates offrent d’excitantes perspectives pour les recherches futures en exobiologie.

Pour en savoir plus :
Téléchargez E-space & Sciences Mars Oméga N°8

Global Mineralogical and Aqueous Mars History Derived from OMEGA / Mars Express Data, J.-P. Bibring, Y. Langevin, J.-F. Mustard, F. Poulet, R. Arvidson, A. Gendrin, B. Gondet, N. Mangold, P. Pinet, F. Forget, the OMEGA team ; 21 avril 2006, Science Vol 312, pp 400-403.

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[1] Mars :

La quatrième planète du système solaire est aussi connue sous le nom de « planète rouge »en raison dela présence d’oxyde de fer. Sa surface est recouverte de poussière et de blocs rocheux. Dans l’hémisphère sud se trouvent des terrains élevés comptant de nombreux cratères d’impact météo-ritiques. Dans l’hémisphère nord des plaines volcaniques forment les terrains les plus bas. De profondes vallées s’étendent d’ouest en est. Les pôles sont recouverts de calottes de glace d’eau et de neige carbonique. Comparée àla Terre, Mars est une petite planète, sept fois moins volumineuse et dix fois moins massive ; la gravité y est trois fois plus faible. Elle ne possède plus de champ magnétique global..

[2] Un peu de géologie :

L’âge relatif d’une surface planétaire se détermine en considérant le nombre et la taille des cratères d’impact présents sur cette surface. L’histoire géologique de Mars était découpée en trois ères : le Noachien, l’Hespérien et l’Amazonien. Mais la durée de ces périodes varie considérablement suivant les chronologies proposées par les chercheurs.

[3] L’instrument OMEGA :

OMEGA est un spectromètre imageur dans le visible (0,35 -1,0 μm) et le proche infrarouge (1,0 -5,2 μm) de la mission Mars Express de l’Agence spatiale européenne (ESA). Il a pour objectifs de déterminer la composition minéralogique et moléculaire de la surface et de l’atmosphère martienne. Pendant cette mission, OMEGA doit établir progressivement une cartographie de la surface avec une résolution variant entre 4 km et 0,3 km (dépendant de l’altitude de l’orbite). OMEGA doit cartographier globalement la surface de Mars àmoyenne résolution et environ 2,5% sera observée àhaute résolution (0,3 km). OMEGA est le fruit d’une coopération internationale dirigée par le Professeur Jean-Pierre Bibring de l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay (France).

[4]Phyllosilicates :
Les phyllosilicates sont des minéraux hydratés, produits de l’altération de roches d’origine magmatique par de l’eau sur une longue durée. Sur Terre, ces argiles forment des dépôts sédimentaires.

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