Société Française d'Exobiologie

L’environnement de la Terre primitive : l’Archéen et l’Hadéen

Par Hervé Martin

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1. Introdution

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Classiquement l’histoire de la Terre est subdivisée en 4 grandes périodes géologiques (Fig. 1) : l’Hadéen qui s’étend depuis la fin de l’accrétion de la planète ( 4,568 Ga ; Ga = Giga annum = milliard d’années) jusqu’à environ 4,0 Ga, âge des plus anciennes roches connues à ce jour. Vient ensuite l’Archéen dont la limite avec le Protérozoïque ( 2,5 Ga) est marquée par un changement fondamental dans le mode de fonctionnement de notre planète, c’est au Protérozoïque que la dynamique terrestre est devenue semblable à celle que nous connaissons aujourd’hui. Enfin, c’est à partir de 540 Ma (Ma = Mega annum =million d’années) que débute le Phanérozoïque dont la limite inférieure consiste en l’apparition et en la prolifération d’êtres vivants possédant un squelette interne ou externe susceptible d’être fossilisé.
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Figure 1 : Echelle synthétique des temps géologiques.
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Cet exposé consistera en deux parties, la première s’intéressera aux terrains archéens dont notre connaissance est étayée par de très nombreux affleurements âgés de 4,0 à 2,5 Ga, la seconde, remontera le temps à partir de 4,0 Ga et s’intéressera à la période hadéenne.
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2. L’Archéen
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2.1. Distribution des terrains archéens

La répartition géographique de la croûte continentale primitive est extrêmement vaste ; il en existe de grands domaines sur tous les continents (Condie, 1994). Les principaux ensembles aussi appelés boucliers ou cratons sont reportés sur la carte de la figure 2.
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Figure 2 : Répartition géographique des grandes provinces archéennes. Les terrains archéens affleurant sont en rouge alors que ceux recouverts par des formations sédimentaires sont figurés en orange. (1) Bouclier baltique ; (2) Bouclier ukrainien ; (3) Bouclier écossais ; (4) Bouclier sibérien ; (5) Bouclier indien ; (6) Craton sino-coréen ; (7) Bloc de Pilbara ; (8) Bloc de Yilgarn ; (9) Bloc d’Australie du Nord ; (10) Complexe de Napier ; (11) Craton du Kaapvaal ; (12) Craton du Zimbabwe ; (13) Craton de Madagascar ; (14) Bouclier d’Afrique centrale ; (15) Bouclier d’Afrique de l’Ouest ; (16) Craton du São Francisco ; (17) et le Bouclier guyanais ; (18) Province du Wyoming ; (19) Province Supérieure ; (20) Province de l’Esclave ; (21) Bouclier du Labrador. (22) Bouclier groenlandais.
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L’Archéen est une période d’intense activité magmatique qui a conduit à l’extraction de près de 3/4 du volume de la croûte continentale à partir du manteau. Les roches les plus anciennes et qui affleurent sur de vastes surfaces ( 3000 km2) sont les gneiss d’Amitsôq au Groenland. Il s’agit d’anciennes roches magmatiques (granitoïdes) aujourd’hui transformées en gneiss par métamorphisme ; leur mise en place date de 3,822 ± 0,005 Ga (Figure 3). Des volumes plus petits de roches volcaniques et sédimentaires sont aussi spatialement associées aux gneiss d’Amitsôq, il s’agit des formations d’Isua et d’Akilia dont l’âge est de 3,872 ± 0,010 Ga. Enfin, à Acasta, au Canada, dans les territoires du Nord, de petits affleurements (< 20km2) de gneiss rubanés constituent les plus anciens morceaux de croûte continentale connus sur Terre à ce jour, ils ont été datés à 4,030 ± 0,003 Ga (Bowring and Williams, 1999). Cependant, en Australie, certains minéraux particulièrement résistants, les zircons, ont été préservé dans des sédiments ; ils ont donné des âges allant de 4,0 Ga jusqu’à 4,404 Ga (Wilde et al., 2001), les roches qui les contenaient initialement ont totalement été altérées et érodées, elles ont disparu : ces minéraux sont les seuls représentants connus de l’Hadéen (voir synthèse dans : Gargaud et al., 2006, chapitre 4).
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Figure 3 : Photo des gneiss gris d’Amitsôq au Groenland (3,822 ± 0,005 Ga). Les gneiss anciens sont de couleur grise avec un aspect rubané acquis lors d’un épisode métamorphique ; ils sont recoupés par des filons blancs d’un granite plus jeune (2,55 Ga : le granite de Qorqût).
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2.2. Composition des terrains archéens
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Indépendamment de leur âge et de leur localisation géographique, tous les terrains archéens montrent les mêmes associations lithologiques : ils sont constitués de 3 grands ensembles : 1) un socle granito gneissique ; 2) des ceintures de roches vertes ; 3) des granites tardifs.

2.2.1. Le socle granito gneissique
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Ces formations sont de loin les plus abondantes des terrains archéens dont elles représentent environ 80%. Il s’agit en général de gneiss gris, c’est-à-dire d’anciens granitoïdes déformés et métamorphisés. (Figure 4). Ces roches sont aussi connues sons le nom de TTG, acronyme pour Tonalite, Trondhjémite et Granodiorite, il s’agit en fait de roches magmatiques contenant essentiellement du quartz, du feldspath plagioclase, de la biotite et parfois de l’amphibole. Ces roches se distinguent des granites par leur très faible teneur en (voire même l’absence) feldspath potassique. Toutes ont une texture grenue qui atteste de leur lente cristallisation en profondeur. Enfin ces roches omniprésentes à l’Archéen deviennent très rares après 2,5 Ga.

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Figure 4 : Photo de gneiss gris (TTG) de Gurur, en Inde. Ils ont un âge de 3,3 Ga. De couleur grise, ils sont finement rubanés et recoupés par de petits filons de granite (blancs).
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Le magma qui en cristallisant a donné les TTG résulte de la fusion à haute pression d’une roche de composition basaltique. En effet, lorsque la pression augmente, un basalte va se transformer en amphibolite (roche à amphibole +/- grenat +/- feldspath plagioclase) puis en éclogite (roche à pyroxène + grenat), ce sont ces basaltes métamorphisés qui vont fondre (Martin and Moyen, 2002). L’environnement géodynamique dans lequel une telle fusion a pu avoir lieu a été longtemps l’objet de débats passionnés : 1) ces basaltes étaient les basaltes de la croûte océanique entraînés dans la subduction ; 2) il s’agissait de basaltes sous plaqués dans un environnement de panache mantellique. Depuis quelques années, un large consensus semble s’établir en faveur de la première hypothèse : les TTG sont issues de la fusion de la croûte océanique subductée. Aujourd’hui aussi la croûte continentale juvénile est engendrée dans les zones de subduction, mais sa composition, au lieu d’être TTG est typiquement granitique et ses caractéristiques géochimiques montent qu’elle provient de la fusion du coin du manteau. Dans cet environnement, le comportement de l’eau va jouer un rôle primordial, en effet celle ci abaisse considérablement la température de fusion d’une roche. Par exemple à 45 km de profondeur un basalte pourra fondre à 750°C en présence d’eau alors qu’il ne fondra qu’à 1250°C s’il est anhydre. En d’autres termes, dans les conditions d’une subduction il est possible de fondre un basalte hydraté alors que cela est impossible si celui est anhydre. Aujourd’hui, la croûte océanique subductée est vieille et froide et en conséquence le gradient géothermique le long du plan de subduction est faible. Là, la croûte subductée se déshydrate totalement avant d’atteindre 750°C, elle ne peut donc absolument pas fondre. Les fluides issus de sa déshydratation, en remontant vers la surface, recoupent le coin de manteau sus-jacent, le réhydratent et en induisent la fusion. Ainsi, la source de la croûte continentale moderne est le coin de manteau réhydraté.
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Figure 5 : Diagramme Pression vs. Température et coupes schématiques dans des zones de subduction montrant les conditions de genèse de la croûte continentale primitive et moderne (Martin, 1986) : Pendant l’Archéen, les gradients géothermiques le long du plan de subduction étaient élevés (flèche rouge) de telle manière que la croûte océanique subductée atteignait la température de son solidus avant de se déshydrater, elle pouvait alors fondre à relativement faible profondeur dans le domaine de stabilité de la hornblende et du grenat (en bleuté). Aujourd’hui, les gradients géothermiques le long du plan de subduction sont faibles (flèche bleue), la croûte subductée se déshydrate avant de pouvoir fondre. Les fluides issus de la déshydratation, remontent à travers le coin du manteau dont ils modifient la composition et le réhydratent. Celui-ci fond alors et donne naissance aux magmas calco-alcalins typiques de la croûte continentale moderne. Le diagramme montre les courbes des solidus anhydre et hydraté (5% eau) d’une tholéiite. Le domaine des réactions de déshydratation de la croûte océanique est figuré en hachures. Le domaine de coexistence d’un magma avec un résidu de fusion à grenat (G) et hornblende (H) est représenté en bleuté. Sur les coupes synthétiques : C.O. = croûte océanique ; C.C. = croûte continentale ; s.m. = solidus du manteau hydraté ; les zones en rouge sont celles où l’on rencontre du magma et le domaine bleu pâle en hachures verticales corresponde au domaine de circulation des fluides.
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A l’Archéen, la croûte océanique subductée était, beaucoup plus jeune et beaucoup plus chaude, alors le gradient géothermique le long du plan de subduction était élevé. Dans ces conditions les basaltes atteignaient la température de 750°C avant d’avoir pu se déshydrater, ils pouvaient donc fondre. A cette époque, la source de la croûte continentale était, non pas le coin de manteau, mais la croûte océanique subductée (Martin, 1986). Ces modes de genèse contrastés en contexte de subduction, attestent d’une Terre archéenne plus chaude que notre planète actuelle.
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2.2.2. Les ceintures de roches vertes
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Les ceintures de roches vertes ne représentent que de 5 à 10% du volume des terrains archéens. Il s’agit de roches volcaniques et de sédiments c’est-à-dire de roches mises en place à la surface de la planète en général sur le socle granito gneissique. Elles forment le plus souvent des structures synformes allongées (>100 km de long pour 20 km de large) d’où leur nom de ceinture. Typiquement ces ceintures possèdent une polarité compositionnelle : la série débute par des laves ultrabasiques (komatiites) auxquelles succèdent des laves basiques intercalées avec des sédiments qui deviennent prépondérants dans la partie supérieure de la série.

2.2.2.1. Les komatiites
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Les komatiites sont des laves ultrabasiques très abondantes à l’Archéen et qui ont quasiment disparu dès le Protérozoïque. Alors que les basaltes actuels ont des températures de mise en place de l’ordre de 1250 à 1350 °C, les komatiites elles faisaient éruption entre 1600 et 1650 °C (Nisbet, 1987). Ceci atteste aussi d’une production de chaleur terrestre plus importante à l’Archéen que de nos jours. Ces magmas engendrés à grande profondeur (les komatiites peuvent contenir du diamant) proviennent de taux de fusion très élevés du manteau (50 à 60%). En surface, elles se sont refroidies très brutalement de telles sorte que les minéraux (olivine et pyroxène) on cristallisé de manière aciculaires et avec une texture dendriforme caractéristique appelée texture spinifex (Fig. 6).
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Figure 6 : Cristaux aciculaires d’olivine (aujourd’hui transformés en amphibole) à texture spinifex dans une komatiite âgée de 3,2 Ga et provenant du craton du São Francisco au Brésil.

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2.2.2.2. Les basaltes

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Les laves basiques sont essentiellement basaltiques à affinité tholéiitique alors que les roches calco-alcalines sont beaucoup plus rares, contrairement à ce que l’on observe aujourd’hui sur Terre, les andésites sont relativement peu abondantes. Dans la partie supérieure du cycle volcanique et parfois en alternance avec les cycles sédimentaires, se mettent aussi en places de petits volumes de laves intermédiaires à acides (dacites et rhyolites).
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2.2.2.3. Les sédiments
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Les cycles sédimentaires débutent en général par une sédimentation détritique grossière, immature (conglomérats et grauwackes) contenant le plus souvent des éléments volcaniques, puis ils évoluent progressivement vers des shales et des dépôt chimiques (cherts, BIF = Banded Iron Formations = Formations Ferrifères Rubanées). Les cherts sont souvent très abondants et attestent d’un très grande activité hydrothermale. Les BIFs quant à elles sont des sédiments constitués d’une alternance de bancs centimétriques de quartz et de magnétite (Figure 7), ils proviennent d’une précipitation chimique de la silice et du fer dissout dans l’eau témoignant par là même du caractère non oxydant de l’atmosphère terrestre. Abondantes avant 2,2 Ga les BIFs ont presque totalement disparu à partir de cette période.

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Figure 7 : Formation Ferrifère Rubanée (BIF = Banded Iron Formations) provenant de Gopping Gap (3,4 Ga) en Australie.
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2.2.3. Les granites tardifs
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Ces granites aussi nommés sanukitoïdes ou « High Magnesium Granitoids » (5 à 10% du volume des terrains archéens) sont intrusifs dans le socle granito gneissique et les ceintures de roches vertes. Ils s’agit de vrais granites à affinité calco-alcaline et le plus souvent très riches en phénocristaux de feldspath potassique ; ils sont aussi riches en magnésium. Ils sont interprétés comme provenant de la fusion de péridotites mantellique dont la composition a été modifiée par l’adjonction de magma TTG.
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2.3. La tectonique archéenne
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Aujourd’hui la tectonique active à la surface du globe résulte du déplacement des plaques lithosphériques dont le mouvement induit essentiellement une tectonique horizontale (par exemple nappes de charriage dans les Alpes). De telles structures sont connues dans tous les terrains archéens des plus anciens aux plus récents, ce qui démontre qu’une tectonique analogue à notre tectonique des plaques actuelle opérait dès 4,0 Ga. Toutefois, les terrains archéens possèdent une particularité supplémentaire, en effet, aux grandes structures horizontales se superposent des déformations verticales en dômes et bassins. Cette tectonique verticale dont le moteur est la gravité est connue depuis la fin des années 1970 (Gorman et al., 1978) sous le nom de sagduction. Lorsque des laves ultrabasiques telles que les komatiites (densité = 3,3) se mettent en place sur de la croûte continentale de type TTG (densité 2,7), elles créent un fort gradient inverse de densité (Fig. 9). Le retour vers une situation d’équilibre se fera par enfoncement des komatiites dans le socle TTG .Une fois initié, le phénomène évolue en créant de véritables diapirs inverses, dus non seulement à la descente des roches les plus denses mais aussi à la remontée concomitante des roches de faible densité. La descente des roches de forte densité crée une dépression où peuvent se déposer des sédiments. Les chercheurs considèrent aujourd’hui que la tectonique horizontale opérait comme de nos jours, c’est à dire plutôt aux limites de plaques alors que la sagduction se développait préférentiellement au cœur des plaques continentales.

Ces granites aussi nommés sanukitoïdes ou « High Magnesium Granitoids » (5 à 10% du volume des terrains archéens) sont intrusifs dans le socle granito gneissique et les ceintures de roches vertes. Ils s’agit de vrais granites à affinité calco-alcaline et le plus souvent très riches en phénocristaux de feldspath potassique ; ils sont aussi riches en magnésium. Ils sont interprétés comme provenant de la fusion de péridotites mantellique dont la composition a été modifiée par l’adjonction de magma TTG.
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2.3. La tectonique archéenne
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Aujourd’hui la tectonique active à la surface du globe résulte du déplacement des plaques lithosphériques dont le mouvement induit essentiellement une tectonique horizontale (par exemple nappes de charriage dans les Alpes). De telles structures sont connues dans tous les terrains archéens des plus anciens aux plus récents, ce qui démontre qu’une tectonique analogue à notre tectonique des plaques actuelle opérait dès 4,0 Ga. Toutefois, les terrains archéens possèdent une particularité supplémentaire, en effet, aux grandes structures horizontales se superposent des déformations verticales en dômes et bassins. Cette tectonique verticale dont le moteur est la gravité est connue depuis la fin des années 1970 (Gorman et al., 1978) sous le nom de sagduction. Lorsque des laves ultrabasiques telles que les komatiites (densité = 3,3) se mettent en place sur de la croûte continentale de type TTG (densité 2,7), elles créent un fort gradient inverse de densité (Fig. 9). Le retour vers une situation d’équilibre se fera par enfoncement des komatiites dans le socle TTG .Une fois initié, le phénomène évolue en créant de véritables diapirs inverses, dus non seulement à la descente des roches les plus denses mais aussi à la remontée concomitante des roches de faible densité. La descente des roches de forte densité crée une dépression où peuvent se déposer des sédiments. Les chercheurs considèrent aujourd’hui que la tectonique horizontale opérait comme de nos jours, c’est à dire plutôt aux limites de plaques alors que la sagduction se développait préférentiellement au cœur des plaques continentales.

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Figure 9 : Gauche : Diagramme illustrant trois étapes du développement de la sagduction. 1) la mise en place dans une ceinture de roches vertes, de komatiites de densité élevée (d=3,3) sur les TTG du socle granito gneissique de faible densité (d=2,7) induit un fort gradient inverse de densité ; 2) Il en résulte un mouvement descendant des komatiites (flèche grise) induisant un mouvement relatif ascendant des TTG (flèches noires) ; 3) le mouvement s’accentue créant une dépression au centre de la ceinture de roches vertes où vont se déposer les sédiments. Droite : Vue satellite du craton archéen de Pilbara (Australie) montrant les structures résultant de la sagduction : les ceintures de roches vertes (en vert et gis sombres) sont localisées entre des dômes des TTG (blanc jaunâtre). La largeur de la photo est d’environ 300 km.
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La sagduction ne peut fonctionner que lorsqu’un fort gradient inverse de densité est réalisé ; par exemple, les basaltes ont une densité trop faible (2,9 ou 3) pour pouvoir initier une sagduction. Comme les komatiites sont restreintes à l’Archéen, la sagduction est donc elle aussi spécifique de l’évolution crustale primitive.

Si une tectonique des plaques opérait bien à l’Archéen, en revanche, ses modalités de détail étaient bien différentes de celles qui sont connues de nos jours. Par exemple, la production de chaleur terrestre était beaucoup plus importante au début de l’histoire de la Terre que maintenant (Fig. 10). La chaleur terrestre produite en grande quantité à l’Archéen a nécessairement été évacuée, sinon l’excès de chaleur aurait provoqué la fusion d’au moins une partie de la planète, ce dont on ne retrouve aucune trace. La conduction étant un mécanisme inefficace pour évacuer la chaleur interne, c’est, comme de nos jours, la convection qui a assuré cette fonction par l’intermédiaire des rides médio-océaniques. Comme la quantité de chaleur à évacuer était plus importante qu’aujourd’hui, il a donc fallu une plus grande longueur de ride (la quantité de chaleur évacuée est une fonction de la racine cubique de la longueur de ride) (Hargraves, 1986). La Terre ayant conservé un volume constant, une plus grande longueur de rides implique que les plaques délimitées par ces rides étaient plus petites que de nos jours et qu’elles se déplaçaient plus rapidement (Fig. 11).

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Figure 10 : Variation de la production de chaleur terrestre en fonction du temps.
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Figure 11 : Schéma comparant la taille des plaques actuelles (à gauche) à celle supposée des plaques archéennes (à droite). A l’Archéen, la plus grande production de chaleur interne était évacuée par une longueur de ride plus importante, résultant en une mosaïque de plaques beaucoup plus petites et plus rapides que celles de la Terre actuelle.
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2.4. La transition Archéen Protérozoïque
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Aux alentours de 2,5 Ga, le passage de l’Archéen au Protérozoïque a été une période de changement majeur pour notre planète, par exemple certaines roches, très abondantes à l’Archéen sont devenues rares ou ont disparu après 2,5 Ga ; il s’agit des komatiites, des formations ferrifères rubanées et des TTG (Figure 12). De même d’autres roches sont très abondantes après 2,5 Ga alors qu’elles étaient rares ou inexistantes à l’Archéen, il s’agit des andésites, des roches magmatique peralcalines et des éclogites. Ces changements lithologiques reflètent des modifications plus profondes des mécanismes pétrogénétiques.

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Figure 12 : Evolution temporelle de l’abondance de quelques lithologies.

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L’exemple le plus spectaculaire est celui des komatiites dont la température de mise en place allait de 1 600°C à 1 650 °C, après 2,5 Ga seuls sont produits des basaltes qui ne se mettent en place qu’à des températures de 1 250 à 1350°C. La présence des komatiites démontre que la température du manteau supérieur était nettement plus importante pendant la première moitié de l’histoire de la planète. La Terre s’étant refroidie, elle est devenue incapable d’atteindre des températures élevées, nécessaires à la genèse des komatiites ; d’où leur disparition après 2,5 Ga. Les TTG omniprésentes à l’Archéen proviennent de la fusion de basaltes subductés, après 2,5 Ga, la planète est devenue trop froide, de telle sorte qu’au lieu de fondre, la croûte océanique subductée se déshydrate donnant alors naissance à des andésites (magmatisme calco-alcalin) et non plus à des TTG. Il faut aussi noter qu’entre 2,75 et 2,5 Ga a eu lieu un épisode de croissance crustale majeur qui a affecté toute la planète et qui a vu l’extraction d’énormes volumes de croûte continentale (super – continent) à partir du manteau. Cet épisode a été suivi d’une longue période de repos entre 2,5 et 2,3 Ga, pendant laquelle quasiment aucune croûte continentale juvénile ne s’est formée. Les komatiites ayant disparu à partir de 2,5 Ga, la tectonique verticale (sagduction) qu’elles engendraient a elle aussi disparu. Enfin, compte tenu du refroidissement de la planète, la taille des plaques lithosphériques a augmenté depuis l’Archéen. Il est à noter que tous ces changements résultent d’un seul et unique phénomène, le refroidissement progressif de la planète.
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3. L’Hadéen
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De manière schématique, l’Hadéen peut être subdivisé en trois épisodes majeurs :
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3.1. De 4,568 à 4,4 Ga : L’océan magmatique et la différenciation du noyau métallique
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La compréhension des premiers instants de la Terre repose non seulement sur des considérations théoriques mais résulte aussi de la comparaison avec d’autres planètes telluriques (Lune, Mars, Vénus) dont la tectonique des plaques n’a pas remodelé la surface en effaçant irrémédiablement toute trace des premiers instants de leur histoire. Juste après l’accrétion, la chaleur accumulée (énergie d’accrétion, énergie radioactive, etc.) était importante et ne pouvait pas être évacuée efficacement car aucune convection interne n’était encore établie. Il en a résulté une fusion de toute la partie externe de la jeune planète qui a donné naissance à un océan magmatique. Cet au sein de celui ci que s’est effectuée une première différenciation de la planète dont seul subsiste un enregistrement sous forme d’anomalie isotopique (par exemple 142Nd, Boyet and Carlson, 2005). C’est aussi à cette période que le métal et les silicates se sont différenciés en d’une part, un noyau métallique et d’autre part un manteau silicaté. Les datations basées sur les radioactivités éteintes de certains isotopes (par exemple 182Hf) montrent que cette séparation s’est déroulée très tôt, environ 30 Ma après l’accrétion (Kleine et al., 2002). Ce n’est qu’après la formation du noyau qu’a pu apparaître le champ magnétique qui protège encore aujourd’hui la surface de la Terre du vent solaire.
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3.2. De 4,4 à 4,0 Ga : Proto-croûte continentale
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Récemment, des datations ponctuelles sur des cristaux de zircon sédimentaires de Jack Hills en Australie ont révélé une gamme d’âges allant de 4,4 à 4,0 Ga (Wilde et al., 2001). Les roches dans lesquelles ces minéraux ont cristallisé ont été altérées, érodées et ont disparu ; seuls les cristaux de zircon particulièrement résistants ont été préservés. Ceux-ci contiennent des inclusions de quartz, de feldspath et de mica qui prouvent qu’ils ont cristallisé dans un magma de type granitique. Les granites étant les constituants quasi exclusifs de la croûte continentale, il est possible d’affirmer que cette dernière a commencé à se former sur Terre dès 4,4 Ga et que sa genèse a continué tout au cours de l’Hadéen. En se basant sur des bilans isotopiques, le volume de la croûte continentale engendré avant 4,0 Ga a été évalué entre 10 et 15 % le volume de la croûte actuelle. La constitution isotopique de l’oxygène (18O) des zircons de Jack Hills a permis de démontrer que la source de leur magma hôte avait réagi avec de grands volumes d’eau liquide (Mojzsis et al., 2001). Il en résulte que dès 4,4 Ga, la température de surface de la planète était suffisamment basse pour permettre à l’eau d’être sous un état liquide, l’océan magmatique était donc refroidi, et de vastes étendues d’eau (océans) existaient à la surface de la Terre. Ce résultat est très important car il implique que les conditions (eau liquide, continents) nécessaires à la mise en œuvre d’une chimie prébiotique ainsi qu’à l’apparition et au développement de la vie étaient potentiellement réunies moins de 150 Ma après l’accrétion de la planète.
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3.3. De 4,0 à 3,85 Ga : Bombardement météoritique
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Jusqu’à ces dernières années, en se basant sur l’intense cratérisation de la surface lunaire et en considérant que la Terre, plus massive avait dû attirer un plus grand nombre de plus grosses météorites, il était communément admis que toute la période hadéenne avait été l’objet d’un fort bombardement météoritique continu. Ce modèle envisagerait une décroissance exponentielle du flux de météorites atteignant la surface terrestre (Fig. 1) ce qui devait rendre impossible la présence de continents et d’océans. Très récemment il a été proposé que le bombardement météoritique, n’ait été qu’un phénomène épisodique qui n’aurait duré qu’entre 4,0 et 3,85 Ga « Late Heavy Bombardment = Bombardement intense tardif », (Gomes et al., 2005). L’origine de ce bombardement serait une modification des orbites de Jupiter et de Saturne ayant entraîné l’éjection de la partie interne de la ceinture d’astéroïdes vers la partie centrale du système solaire. Il en résulte qu’avant ce bombardement météoritique (avant 4,0 Ga) la surface terrestre n’était pas hostile et pouvait permettre la formation d’une croûte continentale stable ainsi que d’océans. Cette période est aussi nommée « Cool Early Earth = Terre Primitive Froide » (Valley et al., 2002). La question qui reste posée consiste à savoir si ce bombardement a pu avoir ou non un effet stérilisateur (vaporisation des océans, fusion de la croûte continentale, destruction d’une hypothétique vie).
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4. Références bibliographiques
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  • Bowring, S.A. and Williams, I.S., 1999. Priscoan (4.00-4.03 Ga) orthogneisses from northwestern Canada. Contribution to Mineralogy and Petrology, 134 : 3-16.
  • Boyet, M. and Carlson, R.W., 2005. 142Nd Evidence for early (94.53 Ga) global differentiation of the silicate Earth. Science, 309 : 576-581.
  • Condie, K.C., 1994. The Archaean crustal evolution. Developments in Precambrian Geology. Elsevier, Amsterdam, 528 pp.
  • Gargaud, M. et al., 2006. From Suns to Life : A chronological approach of the history of Life on Earth. Springer, Berlin.
  • Gomes, R., Levison, H.F., Tsiganis, K. and Morbidelli, A., 2005. Origin of cataclysmic Late Heavy Bombardment period of the terrestrial planets. Nature, 435 : 466-469.
  • Gorman, B.E., Pearce, T.H. and Birkett, T.C., 1978. On the structure of Archaean greenstone belts. Precambrian Research, 6 : 23-41. Hargraves, R.B., 1986. Faster spreading or greater ridge length in the Archaean. Geology, 14 : 750-752.
  • Kleine, T., Munker, C., Mezger, K. and Palme, H., 2002. A short timescale for terrestrial planet formation from Hf-W chronometry of meteorites. Nature, 418(6901) : 949-952.
  • Martin, H., 1986. Effect of steeper Archean geothermal gradient on geochemistry of subduction-zone magmas. Geology, 14 : 753-756.
  • Martin, H. et al., 2006. Building of a habitable planet. In : M. Gargaud et al. (Editors), From Suns to Life : A chronological approach of the history of Life on Earth. Springer.
  • Martin, H. and Moyen, J.-F., 2002. Secular changes in TTG composition as markers of the progressive cooling of the Earth. Geology, 30(4) : 319-322.
  • Mojzsis, S.J., Harrison, M.T. and Pidgeon, R.T., 2001. Oxygen-isotope evidence from ancient zircons for liquid water at the Earth’s surface 4,300 Myr ago. Nature, 409 : 178-181.
  • Nisbet, E.G., 1987. The Young Earth : An introduction to Archaean geology. Allen and Unwin, Boston, 402 pp. Valley, J.W., Peck, W.H., King, E.M. and Wilde, S.A., 2002. A Cool Early Earth. Geology, 30 : 351-354.
  • Wilde, S.A., Valley, J.W., Peck, W.H. and Graham, C.M., 2001. Evidence from detrital zircons for the existence of continental crust and oceans on the Earth 4.4 Ga ago. Nature, 409 : 175-178.

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2 commentaires sur l'article L’environnement de la Terre primitive : l’Archéen et l’Hadéen

  1. mage dit :

    bravo pour ces explications et cet approfondissement. J’essaie d’actualiser mes connaissances sur l’origine du Syt sol et les premiers temps de notre Terre. J’utilise les N° de Ciel et Espace, des N° de Pour la Science( » La Naissance de la Terre » par Marc Javoy mars 2005, le dossier Les Terres Célestes d’avril 1999), des N° de La recherche (dont le dossier « l’histoire de la Terre » de janv 2007), des livres comme ceux d’Allègre, celui d’André BrahiC, des articles pris sur Internet comme ceux de M. Chaussidon à Nancy…Tout ça pour vous situer ma bibliographie assez sommaire, j’en conviens. Mais je rencontre des contradictions entrec les auteurs. Par ex. Brahic explique que l’effondrement a duré 25 Ma , le protosoleil en effondrement, c’est sa phse T-Tauri, présentait toutes les manifestations de cette phase dont une très forte chaleur qui fait que le disque était gazeux (fusion des grains interst ?), puis les réactions nucl se sont déclenchées qui elles dégageaient moins d’energie, dans le disque moins chauffé, la condensation a commencé. Est-ce une vue d’astrohysicien ? car les géochimistes et géophysiciens parlent d’une naissance du Syst. sol a 4,568Ga, daté grace aux inclusions réfractaires des météorites. Puis la condensation serait rapide, 10 Ma plus les planétisimaux sont là. Ai-je bien compris ? comment concilier les deux point de vue ? Je sais que les phénomène sont loin d’être cçompris et modélisé, mais là ! Il semble d’ailleure que pour vous la date de 4,658 soit la fin de l’accrétion et non son début. Merci de votre réponse

  2. Souad MRABET dit :

    Merci de votre écrit sur l’archéen, je cherche à comprendre certaine roches de la boutonnière de Kerdous Anti-Atlas marocain qui me pose des problèmes quant à leur identification et c’est ainsi en faisant des recherches sur les roches de l’archéen sur le net, je suis tombée sur votre article que j’ai lu d’un seul trait.
    Enseignante-chercheur-Université Ibn Tofail-Fac des Siences Kénitra-Maroc

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