Société Française d'Exobiologie

Les viroïdes, précurseurs de la vie ?

Par Marie-Neige Cordonnier (paru sur le site de Pour la Science)

Aux origines de la vie, sous quelle forme se sont développées les premières molécules porteuses d’une information génétique ? De par la variété de leurs fonctions dans une cellule (intermédiaires de la synthèse des protéines à partir de l’ADN, catalyseurs, régulateurs, guides…), les molécules d’ARN constituent des candidats séduisants. D’autant qu’il existe dans la nature des petits ARN – les viroïdes – capables d’infecter des plantes et d’utiliser leur machinerie moléculaire pour se répliquer. Ces fragments seraient-ils les vestiges d’un ancien monde dominé par l’ARN ? Clémentine Delan-Forino, Marie-Christine Maurel et Claire Torchet, du laboratoire ANBioPhy (CNRS/Université Pierre et Marie Curie), à Paris, apportent un argument en faveur de cette hypothèse : elles ont montré que les viroïdes peuvent se répliquer dans un autre organisme qu’une plante, la levure Saccharomyces cerevisiae.

Découverts à la fin des années 1960, les viroïdes sont les plus petits agents pathogènes des plantes. Contrairement aux virus, ils ne codent aucune protéine et ne présentent pas d’enveloppe ou de capsule protectrice : l’ARN est seul, sous la forme d’une boucle fermée dont l’organisation tridimensionnelle est très structurée. L’ARN viroïdal contamine les plantes via leur système de vascularisation et est transmis par reproduction végétale, lors de contacts entre plantes blessées, ou par les insectes. Une fois introduit dans une cellule végétale, l’ARN viroïdal est traité par celle-ci : il est transcrit par une enzyme locale, une ARN polymérase, puis la copie obtenue est refermée en boucle par une autre enzyme locale, une ARN ligase. Ce viroïde pourra à son tour être transcrit et se propager dans d’autres cellules. Selon leur séquence, les viroïdes provoquent le dépérissement de la plante en modifiant l’expression des protéines, ou restent latents.

© USDA Agricultural Research Service

Les biologistes ont construit la séquence d’ADN qui code l’ARN du viroïde de l’avocatier. Dans la levure, cet ADN est transcrit en brins d’ARN linéaires et circulaires : les fragments circulaires ne sont autres que le viroïde de l’avocatier. Les biologistes ont alors observé que si une partie de ces viroïdes sont détectés comme anormaux et détruits par la levure, d’autres persistent et se répliquent dans la cellule, utilisant sa machinerie de transcription comme ils le font dans les cellules végétales.

Les viroïdes ont donc la capacité de se multiplier dans d’autres organismes que les plantes. En quoi cela conforte-t-il l’hypothèse d’un « monde ARN » ancestral ? On savait déjà que dans un tel monde, les viroïdes (ou leurs proches ancêtres) auraient eu de grandes chances de persister : petits, ils ont plus de chances d’être transcrits avec peu d’erreurs ; circulaires, ils n’ont pas besoin de séquence d’amorçage pour être copiés ; compacts et robustes, ils résistent à des conditions de pression et de température qui pourraient correspondre à celles où est née la vie ; certains viroïdes (dont celui de l’avocatier) portent en outre la séquence d’un ARN qui les rend capables de se couper eux-mêmes, ce qui participe de leur autonomie. À ce tableau, C. Delan-Forino et ses collègues ajoutent un atout essentiel : une adaptabilité insoupçonnée à ce jour.

Ces travaux soulèvent aussi une question : puisque les viroïdes semblent prospérer dans diverses branches du vivant, resterait-il des traces de viroïdes ancestraux dans le génome des trois règnes de la vie (les archées, les eubactéries et les eucaryotes) ?

Pour en savoir plus :

C. Delan-Forino et al., Replication of avocado sunblotch viroid in the yeast Saccharomyces cerevisiae, Journal of Virology, vol. 85, n° 7, pp. 3229-3238, 2011.

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