Société Française d'Exobiologie

La planète Terre et l’Espace : des outils précieux et parfois inattendus pour l'exobiologie

Par Hervé Cottin, LISA-UPEC

En 1953, Stanley Miller réalisa une expérience qui marqua un tournant dans la recherche concernant l’étude de l’origine de la vie sur Terre : il démontra que certaines molécules considérées comme essentielles pour l’apparition de la vie, les acides aminés, peuvent être formés « simplement » dans l’atmosphère d’une planète, si celle-ci comporte les « ingrédients » de base appropriés. Cette expérience historique est maintenant considérée comme l’un des fondements moderne de ce qui s’appellera à partir de 1960 « l’exobiologie » : un domaine interdisciplinaire dont l’objectif est de comprendre l’origine de la vie sur la Terre et par extension savoir comment et où la rechercher ailleurs.

Beaucoup de chercheurs hors de nos frontières appellent maintenant cette discipline l’astrobiologie, et bien des avancées ont eu lieu au cours des dernières décennies pour finalement donner à cette science une place importante dans les programmes des agences de recherche et des agences spatiales tout autour du globe. Comprendre comment la vie apparaît, la trouver ailleurs, sont devenus des questions centrales en science, et ne sont plus cantonnées au domaine de la science-fiction. Au cours de ces dernières années, l’agence spatiale européenne, l’ESA, a réuni une équipe internationale et interdisciplinaire de chercheurs, le « Topical Team Astrobiology », pour faire le point sur avancées les plus récentes dans le domaine. Le bilan du travail de ces chercheurs a été publié dans une série de trois articles scientifiques parus dans la revue Space Science Reviews (volume 209).

 

L’exobiologie et la possibilité de la vie sur Terre… et ailleurs…

Dans un premier article, les chercheurs font le bilan des toutes dernières avancées du large domaine interdisciplinaire qu’est l’exobiologie.

Concernant les ingrédients nécessaires à l’apparition de la vie, on sait maintenant que des acides aminés, ainsi que d’autres molécules organiques sont présents dans des météorites qui tombent sur la Terre, et en plus grande quantité encore dans les comètes. Les toutes premières molécules à base de carbone ont été récemment identifiées à la surface de Mars. A partir de ces briques élémentaires, les chimistes élaborent de nouveaux raisonnements à base de systèmes chimiques complexes qui nous conduisent à imaginer comment des molécules comme l’ARN ou les protéines auraient pu se former et permettre l’émergence de la vie. Le tournant des années 2010 a été riche en découvertes dans ce domaine que l’on appelle la chimie prébiotique. Par ailleurs, les scénarios les plus récents concernant la formation des planètes du système solaire remodèlent le visage de la Terre primitive, et il s’avère que notre planète aurait pu être habitable et peut être habitée, bien plus tôt qu’on ne l’imaginait au début des années 2000. D’ailleurs, de plus en plus d’indices de vie, sous forme de microfossiles ou de déséquilibres chimiques, sont trouvés dans les roches les plus anciennes de notre planète. Le vivant terrestre, pris en référence, démontre aussi une étonnante capacité d’adaptation aux environnements considérés autrefois comme trop extrêmes pour abriter la vie, ce qui ouvre des perspectives sur les possibilités de trouver de la vie ailleurs dans le système solaire, alors que notre planète présente des caractéristiques uniques. Plus loin encore, autours d’autres étoiles, des milliers d’exoplanètes ont été découvertes et pourront bientôt être suffisamment bien caractérisées à l’aide de télescopes puissants, pour qu’on puisse espérer y détecter des indices de vie depuis la Terre. Tous ces développement sont détaillés dans un article « Astrobiology and the Possibility of Life on Earth and Elswhere… » (lecture en ligne possible ici)

Nuage de mots construit à partir du texte de l’article « Astrobiology and the Possibility of Life on Earth and Elswhere… » 

 

Ce « Topical Team Astrobiology » a aussi dressé un bilan et émis des recommandations pour le futur concernant deux domaines dans lesquels l’agence spatiale européenne est très active.

La Terre : un outil de recherches pour l’exobiologie

D’abord concernant l’exploration de régions particulières de notre propre planète : certaines régions, souvent reculées et désertiques, présentent des conditions environnementales (acidité, température, humidité, etc…) qui en font de relativement bons analogues d’autres planètes du système solaire, comme Mars, ou même de la Terre primitive. Ces environnements extraterrestres sont par ailleurs simulés dans de nombreux laboratoires. Le groupe de travail a ainsi examiné les façons dont la Terre est utilisée pour l’exobiologie:

  • en effectuant des expéditions dans ces régions considérées comme des analogues planétaires pour y étudier la vie existante dans des environnements extrêmes, ses métabolismes, ses stratégies d’adaptation et ses signatures pour l’identifier;
  • en y recherchant les traces les plus anciennes de vie éteinte dans les roches les plus anciennes connues, et la façon dont ces signatures peuvent être préservées au cours du temps.
  • Ou encore en exposant des échantillons à des environnements spatiaux ou planétaires simulés en laboratoire pour étudier les changements induits dans les minéraux, les molécules et les microorganismes eux même.

Le groupe de travail a recommandé à l’ESA de centraliser et organiser dans le futur des appels d’offres pour financer des campagnes de terrain vers ces analogues planétaires. Ceux-ci pourraient être combinés à des campagnes dédiées à d’autres champs de recherche comme ceux qui relèvent de l’étude du climat ou plus généralement de questions environnementales : les scientifiques bénéficieraient grandement de ces synergies interdisciplinaires. De meilleures infrastructures, une logistique centralisée et des financements propres au niveau Européen seront nécessaires pour assurer un bon retour scientifique de ces recherches. Des centres de traitements, archivage et dissémination des données sont aussi nécessaires. Une meilleure mise en relation des chambres de simulation en laboratoire avec ces analogues naturels est aussi recommandée. Enfin, un vaste programme de diffusion auprès du grand public permettra de sensibiliser le citoyens des pays membres de l’ESA à ces activités

Ce bilan et ces perspectives sont détaillés dans « Earth as tool for Astrobiology – A European Perspective » (en accès intégral ici).

 

Nuage de mots construit à partir du texte de l’article « Earth as tool for Astrobiology – A European Perspective »

 

L’espace, un outil de recherche pour l’exobiologie

Au-delà des missions d’exploration médiatisées (le rover Curiosity, la sonde Rosetta et son atterisseur Philae…), l’espace est un outil privilégié pour les études exobiologiques. Le groupe de travail s’est consacré à dresser un bilan international exhaustif des expériences conduites en orbite Terrestre, et au-delà, pour étudier l’évolution de la matière organique, et la résistance d’organismes vivants, dans l’environnement très hostile qu’est l’espace interplanétaire. Cet environnement, notamment en ce qui concerne la combinaison particulière des différents types de radiations (solaire et cosmique), est singulièrement difficile à simuler en laboratoire. Les premières expériences d’expositions de microorganismes dans de telles conditions remontent aux missions Gemini et Apollo dans les années 1960 et 1970. Les dispositifs ont depuis été nettement améliorés, et à l’heure actuelle l’extérieur de la Station Spatiale Internationale est régulièrement utilisé comme laboratoire pour conduire des études chimiques ou biologiques, en lien avec l’exobiologie. Le retour sur Terre de capsules spatiales est même parfois mis à profit pour simuler des entrées de météorites dans l’atmosphère.

Les principales questions abordées par ces expériences sont les suivantes :

  • Qu’est-ce que la résistance de microorganismes aux conditions spatiales peut nous apprendre de la possibilité de trouver la vie au-delà de la Terre ?
  • Que pouvons-nous apprendre de ces résistances qui pourrait être pertinent pour ce que l’on appelle la protection planétaire ? C’est-à-dire notre souci d’éviter d’exporter des organismes terrestres sur d’autres objets du système solaire où ils pourraient proliférer (comme sur Mars par exemple)
  • La chimie organique qui a mené à l’origine de la vie sur Terre a-t-elle pu être influencée par des processus qui se seraient déroulés dans l’espace, sous l’influence du rayonnement solaire ou des rayonnements cosmiques ?
  • Que pouvons-nous apprendre de ces types d’expériences pour soutenir les missions spatiales actuelles et futures ?

Cependant, il existe des limites aux installations actuelles. Les plates-formes d’exposition passives comme EXPOSE, à l’extérieur de la Station Spatiale Internationale ne permettent pas des mesures « en direct » de l’évolution des échantillons exposés. Les chercheurs ne peuvent conduire des analyses sur leurs échantillons qu’une fois rapportés sur Terre. Les plateformes de prochaine génération devront donc permettre des mesures in-situ. Une étape importante sera aussi de pouvoir effectuer des expériences à basses températures, pour mieux simuler la surface de Mars, les glaces cométaires ou bien l’environnement des satellites glacés des planètes géantes tels Europe et Encelade. Le groupe de travail a aussi recommandé l’accès à des orbites plus exposées aux radiations que ne l’est celle de la Station Spatiale Internationale. Des satellites sur des orbites plus élevées, ou plus inclinées, comme les orbites polaires, augmenteraient les doses de particules chargées sur les échantillons par rapport à celles reçues au niveau de la Station Spatiale Internationale, car ces particules chargées sont filtrées par les ceintures de Van Allen. La mise en œuvre de ces recommandations sera probablement facilitée par le développement de nanosatellites (comme ceux basés sur l’architecture Cubesat). Cette nouvelle génération d’expériences augmentera considérablement le retour scientifique de ce type d’expériences. Le groupe de travail recommande donc à l’agence spatiale de considérer sérieusement ce type d’architectures.

Ce bilan et ces perspectives sont détaillés dans « Space as a Tool for Astrobiology: Review and Recommendations for Experimentations in Earth Orbit and Beyond. » (en accès intégral ici)

 

Nuage de mots contruit à partir du texte de l’article « Space as a Tool for Astrobiology: Review and Recommendations for Experimentations in Earth Orbit and Beyond. »

 

Pour en savoir plus :

Cottin, H., Kotler, J.M., Bartik, K., Cleaves, H.J., Cockell, C.S., de Vera, J.-P.P., Ehrenfreund, P., Leuko, S., Ten Kate, I.L., Martins, Z., Pascal, R., Quinn, R., Rettberg, P. and Westall, F. (2017) Astrobiology and the Possibility of Life on Earth and Elsewhere…. Space Science Reviews 209, 1-42. (http://rdcu.be/tXLj)

Martins, Z., Cottin, H., Kotler, J.M., Carrasco, N., Cockell, C.S., de la Torre Noetzel, R., Demets, R., de Vera, J.-P., d’Hendecourt, L., Ehrenfreund, P., Elsaesser, A., Foing, B., Onofri, S., Quinn, R., Rabbow, E., Rettberg, P., Ricco, A.J., Slenzka, K., Stalport, F., ten Kate, I.L., van Loon, J.J.W.A. and Westall, F. (2017) Earth as a Tool for Astrobiology—A European Perspective. Space Science Reviews 209, 43-81.  (https://link.springer.com/article/10.1007/s11214-017-0369-1)

 

Cottin, H., Kotler, J.M., Billi, D., Cockell, C., Demets, R., Ehrenfreund, P., Elsaesser, A., d’Hendecourt, L., van Loon, J.J.W.A., Martins, Z., Onofri, S., Quinn, R.C., Rabbow, E., Rettberg, P., Ricco, A.J., Slenzka, K., de la Torre, R., de Vera, J.-P., Westall, F., Carrasco, N., Fresneau, A., Kawaguchi, Y., Kebukawa, Y., Nguyen, D., Poch, O., Saiagh, K., Stalport, F., Yamagishi, A., Yano, H. and Klamm, B.A. (2017) Space as a Tool for Astrobiology: Review and Recommendations for Experimentations in Earth Orbit and Beyond. Space Science Reviews 209, 83-181. (https://link.springer.com/article/10.1007/s11214-017-0365-5)

 

 

La Station Spatiale Internationale, à l’extérieur de laquelle plusieurs expériences d’exobiologie ont été réalisées ces dernières années.

 

Composition du Topical Team Astrobiology de l’ESA

 

Une partie des membres du Topical Team Astrobiology de l’ESA

 

 

Animation et coordination :

Pr. Hervé Cottin, LISA, Créteil, F (2011-2017),

Dr. Jean Pierre de Vera, DLR, Berlin, D (2015-2017),

Dr. Michelle Kotler, Leiden University, Leiden, NL (now Univ. Reading, UK) (2011-2014)

 

Membres par ordre alphabétique:

Dr. Daniela Billi, University of Rome Tor Vergata, Italy

Prof. Dr. Charles Cockell, Edimburg Univ., UK

Dr. Rosa de la Torre Noetzel, INTA, Madrid, Sp

Prof. Pascale Ehrenfreund, Leiden Univ., NL (now DLR, D)

Dr. Andreas Elsaesser, Leiden University, Leiden, NL (Now FU Berlin, D)

Dr. Louis D’Hendecourt, IAS, Orsay, F

Dr. Inge Loes Ten Kate, Utrecht Univ, NL

Dr. Jack van Loon, VU Amsterdam, NL

Dr. Zita Martins, ICL, London, UK

Prof. Dr. Silvano Onofri, Univ. del. Tuscia Viterbo, I

Dr. Richard Quinn, SETI, Mountain View, USA

Dr. Petra Rettberg, DLR, D

Dr. Antonio Ricco, NASA Ames, M. View, USA

Dr. K. Slenzka, Jacobs Univ., Bremen & OHB, D

Dr. Frances Westall, CBM, Orléans, F

ESA : O. Angerer, R. Demets

 

Et beaucoup d’invités…

 

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