Société Française d'Exobiologie

Les ingrédients cachés de la composition de la comète Tchoury

Le 5 Septembre 2016, quelques semaines avant la fin de sa mission, la sonde Rosetta effectue une série d’orbites rapprochées qui la conduisent à « frôler » la surface du noyau de la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko (Tchoury). Un peu avant 18h ce jour-là, alors que la sonde se trouve à moins de 2 km de la surface, elle traverse un panache de particules de poussières cométaires fraichement éjectées du noyau. Le hasard veut qu’au moins l’une d’entre elle pénètre à l’intérieur de la source d’ionisation du spectromètre de masse à haute résolution de l’instrument ROSINA. Ce spectromètre est conçu pour déterminer la composition de la phase gazeuse de l’atmosphère cométaire, mais pas pour effectuer des analyses sur les particules solides qui ne peuvent normalement pas pénétrer dans la source d’ionisation. Cet évènement, qui aurait pu irrémédiablement endommager ROSINA, a conduit, au contraire, à des observations inattendues mais de très grand intérêt. En effet, compte tenu de la proximité du noyau lors de la capture de la particule par ROSINA, celle-ci contenait encore certains composés qui se subliment progressivement et sont ainsi dilués dans l’atmosphère cométaire bien en dessous des seuils de détection. Au fil des heures qui suivent, ROSINA va réaliser des mesures avec une sensibilité inégalée depuis le début de la mission, car ces composés, qui étaient jusqu’alors passés inaperçus, vont alors se sublimer directement au niveau de la source d’ionisation du spectromètre.

Les dernières orbites de la sonde Rosetta l’ont conduite à « frôler » le noyau de la comète Tchoury. Le 5 Septembre 2016, la sonde passe à moins de 2 km de la surface du noyau. C’est à ce moment que la sonde a traversé un panache de poussières cométaires. (Animation décrivant les dernières orbites : https://www.youtube.com/watch?v=pC6lBFeDsGo ) Crédits image : ESA

Les observations révèlent la présence de cinq sels d’ammonium : NH4+Cl (chlorure d’ammoniun), NH4+CN (cynanure d’ammonium), NH4+OCN (cyanate d’ammonium), NH4+HCOO (formate d’ammonium) et NH4+CH3COO (acétate d’ammonium). Cette découverte ajoute donc une nouvelle classe de molécules à celles identifiées antérieurement par ROSINA.

 

L’intérêt de la mise en évidence de ces sels est double :

  • De tels sels sont classiquement utilisés par les chimistes qui travaillent sur les synthèses organiques pouvant être à l’origine de la vie, par exemple pour amorcer la synthèse d’acides aminés (les briques élémentaires constitutives des protéines) ou celle de nucléotides (les briques élémentaires de l’ADN et l’ARN). La liste des ingrédients apportés par les comètes et susceptibles d’avoir concouru aux synthèses organiques dites « prébiotiques » s’allonge donc.
  • D’autre part, depuis les bilans élémentaires réalisés lors des survols de la comète de Halley en 1986, on soupçonnait que les comètes contiennent beaucoup moins d’azote que ce que l’on aurait pu attendre de l’abondance de cet élément mesurée dans la photosphère solaire. Ceci laissait penser que les comètes étaient appauvries en azote. Les premiers bilans établis pour la comète Tchoury allaient dans le même sens. Cette mesure relance la discussion car, même si l’abondance de ces sels d’ammonium ne peut pas être quantifiée à partir des observations de ROSINA, les auteurs de l’étude proposent que leur présence pourrait en partie combler ce déficit et résoudre ainsi cet ancien mystère cométaire.

 

Le noyau de la comète 67P est entouré d’une atmosphère composée de gaz et de particules de poussières qui sont émis par le noyau de la comète. Crédits image : ESA/ROSETTA/NAVCAM

L’analyse de cette particule de poussière cométaire par ROSINA a ainsi offert une opportunité inespérée. En effet, c’est l’instrument COSIMA, embarqué également sur ROSETTA, qui était dédié à l’analyse la composition de la phase solide du matériau des poussières cométaires. Cependant, l’intervalle de temps qui s’écoule entre la capture des particules de poussière et leur analyse par COSIMA est assez long, de telle sorte que tous les sels d’ammonium se sont échappés des particules par sublimation avant les analyses par COSIMA. Il a ainsi fallu une certaine dose de chance pour rendre possible leur découverte.

 

Texte rédigé par Jean-Jacques Berthelier (LATMOS, CNRS-UPMC-UVSQ-IPSL), Christelle Briois (LPC2E, CNRS-Université d’Orléans) et Hervé Cottin (LISA, UPEC-UP-CNRS-IPSL)

 

Article : Altwegg, K., Balsiger, H., Hänni, N., Rubin, M., Schuhmann, M., Schroeder, I., Sémon, T., Wampfler, S., Berthelier, J.-J., Briois, C., Combi, M., Gombosi, T.I., Cottin, H., De Keyser, J., Dhooghe, F., Fiethe, B. and Fuselier, S.A. (2020) Evidence of ammonium salts in comet 67P as explanation for the nitrogen depletion in cometary comae. Nature Astronomy. (https://www.nature.com/articles/s41550-019-0991-9 ou acccès libre sur ArxiV https://arxiv.org/abs/1911.13005)

 

 

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