Société Française d'Exobiologie

Un lien entre les chimies des acides aminés et des nucléotides pourrait être à l’origine de la machinerie de traduction du code génétique

Par Robert Pascal

La vie que nous connaissons repose sur l’existence du code qui permet aux acides nucléiques de véhiculer l’information génétique. Mais, bien sûr, cette information ne prend son sens que lorsqu’elle est traduite grâce à une machinerie cellulaire sophistiquée comprenant principalement :

  • le ribosome,
  • les ARN de transferts (ARNt) spécifiques de chaque acide aminé et porteurs du triplet de base (anticodon) nécessaire à la lecture de l’information portée par les ARN messagers,
  • les aminoacyl ARNt synthétases, enzymes capables de charger spécifiquement l’ARNt avec l’acide aminé correspondant par une liaison covalente. Cette famille d’enzymes est donc en grande partie responsable de la fidélité du processus de traduction.

Pour comprendre les premiers stades du vivant, il faut imaginer un scénario d’apparition de ce mécanisme de traduction reposant non seulement sur une évolution non-déterministe mais aussi sur une force motrice ayant conduit à la sélection de ce système sophistiqué. La détermination de la structure tridimensionnelle du ribosome (1) montrant l’absence de toute protéine à proximité du site de formation de la liaison peptidique est souvent considérée comme un arguments en faveur d’un rôle initial important pour les ARN (monde à ARN) qui auraient alors servi simultanément de supports pour l’information et de catalyseurs indispensables au fonctionnement d’un système capable d’autoreproduction. Mais une matrice optimale pour porter l’information requiert une morphologie uniforme adaptée à une recopie linéaire tandis qu’une activité catalytique diversifiée nécessite un large éventail de structures possibles pour s’adapter aux besoins des réactions à catalyser (2). La vie n’a pu remplir ces deux exigences contradictoires simultanément et complètement que par le recours à deux catégories différentes de polymères, les acides nucléiques et les protéines, donc après l’apparition du code génétique et de son mécanisme de traduction. Cette émergence reste obscure dans un contexte où le moindre avantage sélectif suppose que plusieurs codons puissent déjà êtres traduits avec une fidélité raisonnable en acides aminés, ce qui nécessite même à ce stade un système très sophistiqué.

Un premier pas vient d’être franchi par l’équipe « Dynamique des Systèmes Biomoléculaires Complexes » (DSBC) de l’UMR 5073 (CNRS-Université Montpellier 2) en collaboration avec une équipe de l’Université de Manchester (Biron et al., 2005). Ces travaux consistent dans la mise en évidence un mécanisme chimique original conduisant à la formation de liaisons covalentes entre acides aminés et nucléotides assez semblables à celles que l’on trouve aujourd’hui entre un acide aminé et l’ARNt. Cette possibilité repose sur la réactivité des N-carboxyanhydrides d’acides aminés (NCA) avec un groupement phosphate suivi par une réaction intramoléculaire très efficace.

Des molécules, analogues simplifiés des aminoacyl-ARNt, peuvent ainsi être obtenues spontanément (sans nécessiter de catalyse) par interaction des NCA avec des nucléosides phosphorylés en positions 3’. Cette réaction pourrait avoir conduit simplement à des conjugués acides aminés-ARN ouvrant une possibilité d’évolution ultérieure vers les aminoacyl ARN de transfert.

.

Cette réaction consolide l’hypothèse d’un rôle important à l’origine de la vie pour les NCA dont une voie de synthèse compatible avec les conditions de la Terre primitive a été proposée, il y a quelques années par l’équipe DSBC (3, 4). D’autres arguments en faveur d’un rôle important des NCA aux premiers stades du vivant viennent également d’être avancés dans une revue récente sur la chimie prébiotique des acides aminés et des peptides (Pascal, Boiteau, Commeyras, 2005). Leur grande réactivité est associée à un contenu énergétique facilement transférable permettant de les considérer comme des transporteurs d’énergie.

Liens (si abonnement institutionel) :

Références

  • (1) P. Nissen, J. Hansen, N. Ban, P. B. Moore, T. A. Steitz, Science 2000, 289, 920-930.
  • (2) K. Ruiz-Mirazo, J. Pereto et A. Moreno, Origins Life Evol. Biosphere, 2004, 34, 323-346. Origins Life Evol. Biosphere 2004, 34, 323-346.
  • (3) A. Commeyras, H. Collet, L. Boiteau, J. Taillades, O. Vandenabeele-Trambouze, H. Cottet, J.-P. Biron, R. Plasson, L. Mion, O. Lagrille, H. Martin, F. Selsis et M. Dobrijevic Polym. Int. 2002, 51, 661-665.
  • (4) A. Commeyras, L. Boiteau, O. Vandenabeele-Trambouze, F. Selsis In M. Gargaud B. Barbier, H. Martin, J. Reisse Eds. Lectures in Astrobiology Vol. 1, Springer, Berlin, 2005, pp. 547-569).

Aucun commentaire sur l'article Un lien entre les chimies des acides aminés et des nucléotides pourrait être à l’origine de la machinerie de traduction du code génétique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.