Société Française d'Exobiologie

`Oumuamua est-il une preuve de l'existence d'extraterrestres ?

Par Sean Raymond, astronome au Laboratoire d’Astrophysique de Bordeaux

 

Version originale en anglais ici.

Traduction par Laurent Sacco avec l’aide de Franck Selsis, publiée sur Futura-Sciences.com

 

Quelque chose a traversé le système solaire. « Frôlant » la Terre à 40 fois la distance Terre-Lune, il a été repéré par les astronomes en 2017 mais, en moins d’une semaine, il était devenu trop peu lumineux pour presque tous nos télescopes.

Il était si petit que nous ne pouvions pas voir sa forme. La seule chose que nous savions de tout évidence, c’est que l’objet se déplaçait si vite qu’il devait provenir de l’extérieur du Système solaire. Il a été nommé ‘Oumuamua.

Certains scientifiques ont proposé que ‘Oumuamua soit un astéroïde, ou une comète, expulsé de son système planétaire d’origine. D’autres (comme moi) ont suggéré qu’il aurait pu être éjecté d’une étoile mourante ou être un vestige d’une planète qui a été déchiquetée en morceaux. Les données disponibles sur ‘Oumuamua et les modèles de formation planétaire me font pencher en la faveur d’une comète éjectée d’un système jeune.

Vue d’artiste de l’objet ‘Oumuamua (crédits : ESO/M. Kornmesser — ESO)

Puis, Avi Loeb, le président du Département d’astronomie de Harvard, a affirmé qu’il s’agissait probablement d’un vaisseau spatial extraterrestre et les médias du monde  se sont tous affolés.

Il y a quelques années, j’ai eu le grand plaisir de faire partie d’un groupe de recherche international dédié à l’étude de ‘Oumuamua, parrainé par l’Institut international des sciences spatiales. Notre équipe comprend  les découvreurs de ’Oumuamua, des scientifiques spécialisés dans la détection et la modélisation de l’évolution des astéroïdes, des comètes et des objets du Système solaire externe, ainsi que des experts (comme moi) dans la façon dont les étoiles et les planètes se forment.

Notre première réunion a eu lieu peu de temps après que Loeb a crié « Aliens ». Le premier ordre du jour de notre équipe fut d’explorer rapidement et vigoureusement l’idée qu’il n’est nul besoin d’avoir recours à une origine extraterrestre pour ‘Oumuamua car des processus naturels simples pouvaient très probablement suffire et si tel était bien le cas, il fallait garder la tête froide. Notre premier article – publié dans Nature Astronomy – a, de fait, montrer comment des processus naturels pouvaient rendre compte de ce que nous savons de ‘Oumuamua.

Loeb avance cinq « preuves » qui, selon lui, indiquent que ‘Oumuamua est un vaisseau spatial extraterrestre. Avant d’examiner ces preuves, réfléchissons à la façon dont nous choisissons entre plusieurs hypothèses.

Carl Sagan (et ses précurseurs sur le sujet, comme Laplace et Hume) a écrit que les affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires. Avi Loeb n’est pas d’accord. Sa réponse : un conservatisme extraordinaire nous maintient extraordinairement ignorants.

Imaginez qu’il existe deux façons différentes d’expliquer un ensemble de données. L’une invoque des processus naturels imparfaitement compris, et l’autre des extraterrestres intelligents. Comment choisir entre les deux ? Faut-il donner aux deux idées un poids égal, comme Loeb ? Ou devrions-nous être biaisés vers l’explication naturelle, comme Sagan ?

Les scientifiques sont formés pour être prudents. Notre instinct est d’éviter de faire de grandes affirmations tant que nous n’en sommes pas absolument certains. C’est une attitude sobre et que nous pourrions qualifier de « saganesque ». Mais ne passons-nous pas à côté de découvertes étonnantes en gardant nos esprits fermés à des possibilités inattendues ? C’est la thèse de Loeb.

Gardons ces considérations philosophique à l’esprit lorsque nous allons discuter des données que nous avons concernant ‘Oumuamua. Examinons les cinq arguments présentés par Loeb comme preuves qu’il a été fabriqué par des extraterrestres.

 

  1. Il y a trop peu d’objets naturels dans l’espace interstellaire : ‘Oumuamua n’aurait jamais dû être découvert. Il devait viser délibérément la Terre.

Cet argument suppose que l’on connaisse parfaitement – par d’autres moyens que de simples observations – le nombre de ces objets naturels. Et il repose aussi sur le fait de savoir d’où ils viennent. Les systèmes planétaires sont la source la plus évidente d’objets interstellaires. La formation des planètes est désordonnée, et les restes des blocs de construction sont inévitablement rejetés hors de leurs systèmes d’origine.

Nous en savons pas mal sur les exoplanètes autour d’autres étoiles et comment les planètes se forment (vidéos ici). Nous pouvons tirer parti de cela pour estimer que chaque étoile éjecte probablement environ l’équivalent de la masse de la Terre sous forme de restes de la formation planétaire dans l’espace interstellaire.

Comment se répartissent ces populations d’objets en fonction de leur taille, nous l’ignorons. Il pourrait n’y en avoir que quelques uns de grandes tailles ou un nombre énorme de petites tailles. Imaginons que ces objets interstellaires aient la même répartition des tailles que nos astéroïdes. Dans ce cas, les grands objets dominent et il est en effet très peu probable que nous aurions pu détecter ‘Oumuamua. Précisons un peu ce point.

Quand on fait une estimation du nombre d’objets interstellaires, on s’appuie sur l’idée qu’ils résultent de l’éjection de corps de systèmes planétaires. On raisonne par rapport à la masse qui est éjectée par étoile (en moyenne).

Dans le cas des astéroïdes du Système solaire, il y a beaucoup plus de petits corps que de grands. Mais la masse qu’ils représentent est concentrée essentiellement dans les grands. Cérès contient ainsi au moins un tiers de la masse de la ceinture principale d’astéroïdes.  Cela ne colle pas bien avec la répartition des masses dans les petits corps célestes pour d’autres systèmes que l’on déduit à partir de la détection de ‘Oumuamua (prenant en compte les biais de détection).

La distribution de la taille des astéroïdes. Même s’il n’y a qu’une poignée de gros astéroïdes, ces objets l’emportent sur tous les petits. © Marco Colombo, DensityDesign Research Lab .

Mais si la distribution de taille des objets interstellaires est un peu plus déplacée vers des tailles plus petites, il ne serait pas surprenant que nous ayons trouvé ‘Oumuamua. Ainsi, les objets interstellaires n’ont probablement pas la même distribution de tailles que les astéroïdes du Système solaire. C’est intéressant ! Cela peut nous dire des choses sur la croissance des éléments constitutifs des exoplanètes, ou sur les processus qui façonnent ces objets.

Est-ce que cela devrait faire pencher notre opinion en faveur des extraterrestre ? Non, certainement pas !

Il existe plusieurs processus naturels qui façonnent la distribution en taille des petits corps. Par exemple, tout astéroïde ou comète qui passe trop près d’une planète géante est déchiquetée par les forces de marée. Nous avons vu cela se produire en 1992 lorsque la comète Shoemaker-Levy 9 a été fragmentée par Jupiter en plus de 20 petits morceaux sous le regard du télescope spatial Hubble.

Fragments de la comète Shoemaker-Levy 9 vus par Hubble le 17 mai 1994. Cette image comprend presque tous ses 21 fragments et s’étend sur environ 1.140.000 kilomètres, soit environ trois fois la distance de la Terre à la Lune. Les fragments ont touché Jupiter en juillet 1994. © Nasa, ESA H. Weaver and E. Smith (STSci)

Peut-être que ‘Oumuamua est un fragment d’un objet plus grand qui a été déchiré après être passé près d’une planète géante ou d’une étoile, phénomène naturellement associé à une éjection d’un système planétaire. Cela pourrait aussi aider à expliquer sa forme bizarre comme nous le verrons ci-dessous.

L’hypothèse Alien est soumise aux mêmes contraintes : si ‘Oumuamua est une sonde extraterrestre alors, statistiquement parlant, chaque étoile dans la Voie lactée aurait dû envoyer plus d’un million de milliards de ces objets explorer la Galaxie pour que nous puissions en trouver un. Cela implique une ingénierie TRÈS productive et n’apporte pas vraiment une solution à cette question du nombre d’objets interstellaires nécessaires à leur détection.

 

  1. ‘Oumuamua est entré dans notre Système solaire sur une orbite très improbable qui s’est plus rapprochée de la Terre que de toute autre planète. Il devait donc être dirigé vers notre Planète par des extraterrestres intelligents.

Des objets de l’espace interstellaire entrent et quittent le Système solaire tout le temps. Mais des études montrent que, en effet, ‘Oumuamua était sur une orbite statistiquement inhabituelle si on la compare à l’ensemble des trajectoires qu’un objet peut avoir entrant dans le Système solaire.

Mais quels objets interstellaires pouvons-nous réellement débusquer ? Ces objets sont faiblement lumineux et nous ne pouvons détecter que ceux qui s’approchent de la Terre. Si l’on considère l’ensemble des objets interstellaires observables depuis la Terre avec nos moyens actuels, la trajectoire de ‘Oumuamua est alors totalement typique. Ceux que nous avons pu trouver sont donc forcément sur des orbites que Loeb juge « atypiques »,  passant près de la Terre.

En moyenne en France, les chances de croiser un Japonais aujourd’hui sont assez faibles. Ils sont une petite minorité. Mais ils ne sont plus une petite minorité si vous êtes à l’aéroport, près de la porte d’embarquement pour un vol à destination de Tokyo. Tout dépend du contexte et dans celui de sa découverte, l’orbite d’Oumuamua n’a rien de spécial. Ce n’est pas une preuve de l’existence d’aliens.

 

  1. Sa forme est trop étrange pour ne pas avoir été façonnée par des extraterrestres.

La forme de ’Oumuamua est bizarre. Pour moi, c’est sa caractéristique la plus étonnante. Mais le fait est qu’on ne connaît pas vraiment la forme réelle de ’Oumuamua. Tout ce que nous savons, c’est que les variations de sa luminosité (de la lumière qu’il réfléchissait du Soleil) dues à sa rotation étaient très grandes par rapport à un astéroïde typique.

Cette simulation montre qu’une forme de cigare pour ‘Oumuamua peut reproduire les grandes oscillations de luminosité observées. © nagualdesign via Wikimedia Commons.

Pour expliquer ces grandes oscillations de luminosité, nous pensons qu’il doit être très étiré. Il pourrait ressembler à un cigare… ou à une crêpe — j’aimerais dire qu’il ressemble au Faucon Millenium, mais ce buzz autour d’un « vaisseau spatial extraterrestre » a rendu délicat ce genre d’analogie.


Vue de l’artiste concernant la forme en « crêpe  » potentielle de ‘Oumuamua. © William K. Hartmann

La forme qui colle le mieux aux données est une crêpe avec un rapport d’axe de 6, c’est-à-dire environ 6 fois plus large qu’elle n’est épaisse. Cette forme n’est pas complètement inédite dans le Système solaire.

Une distribution des tailles en abscisse et des rapports entre des axes principaux en ordonnées pour des petits corps célestes dans le Système solaire.  © Wm. Robert Johnston

 

Robert Johnston a comparé la distribution des rapports d’axe des petits corps connus du Système solaire avec celui de ‘Oumuamua. Comme vous pouvez le voir, les ratios d’axe de 6 sont inhabituels mais pas sans précédent. De plus, nos données pour les astéroïdes et comètes de la taille de ’Oumuamua sont assez rares parce qu’elles sont difficiles à observer !

Alors, pourquoi est-il si étiré? Jusqu’à présent, les scientifiques ont avancé quatre idées plausibles sans rapport avec des E.T. :

Peut-être que ‘Oumuamua est un fragment d’un objet plus grand qui a été déchiré en lambeaux avant qu’il ne soit éjecté de son système planétaire d’origine, et ce processus l’a étiré. Il aurait pu être déchiqueté en passant près d’une planète géante, voire d’une étoile, notamment s’il est originaire d’un système stellaire binaire ou multiple — environ la moitié des étoiles.

Schéma illustrant la formation d’ʻOumuamua basée sur le scénario de Zhang et Lin © Naoc, Y. Zhang

 

Peut-être que les collisions à grande vitesse avec de la poussière interstellaire pendant son voyage entre les étoiles ont changé sa forme, passant de celle d’une pomme de terre à celle d’une écharde.

Peut-être  que les collisions lentes dans les confins de son Système planétaire d’origine ont produit sa forme étrange.

Peut-être qu’il a été chauffé et a perdu son contenu en composés volatils, soit sur son chemin hors de son système d’origine, soit à mesure qu’il approchait du Soleil. Cela aurait eu pour conséquence de l’aplatir, une hypothèse qui été utilisée pour expliquer la forme d’Arrokoth.

L’alternative extraterrestre est que ‘Oumuamua serait une voile légère (très exactement une voile solaire ou plutôt stellaire) qui est, par définition, super mince parce qu’elle est propulsée par la lumière d’une étoile. Nous en reparlerons plus loin.

Alors, la forme de ’Oumuamua est-elle une preuve de la technologie extraterrestre ?

Même si l’on peut avancer des raisons pour qu’un objet fabriqué par des aliens ait une forme aplatie, il y a beaucoup d’explications naturelles donc Carl Sagan dirait non (et moi aussi). Par ailleurs, l’hypothèse de voile stellaire est difficile à concilier avec la rotation de ’Oumuamua, comme nous le verrons au point 5 ci-dessous.

 

  1. ‘Oumuamua est trop brillant pour être un objet similaire aux astéroïdes ou aux comètes.

Pour estimer la réflectance d’un objet dont on ne connait pas précisément la taille, il faut mesurer à la fois la lumière qu’il réfléchit et celle qu’il émet, dans l’infrarouge. Cette dernière mesure a été tentée avec le télescope spatial Spitzer de la Nasa, un mois environ après la découverte de ’Oumuamua. Malheureusement, ces observations n’ont pas été en mesure de détecter ‘Oumuamua parce que son émission était trop faible. L’étude a conclu que la valeur de la réflectance de ’Oumuamua pouvait être comprise entre 1 à 50 % avec comme valeur la plus probable 10 %.

La plupart des objets du Système solaire sont sombres. Les noyaux cométaires — des assemblages de roches et de glaces qui donnent de la vapeur d’eau pour produire des comas et des queues de comète spectaculaires — ne reflètent que 2 à 7 % de la lumière du Soleil. Les astéroïdes riches en eau sont un peu moins sombres, mais ne reflètent encore que 5 à 20 % de la lumière du Soleil.

Si ‘Oumuamua reflète vraiment 50 % de la lumière qu’il reçoit, ce qui correspond à la valeur de sa réflectance la plus élevée permise par les observations, ce serait vraiment bizarre.  Mais elle est peut être également très basse. Les noyaux de comètes et les astéroïdes riches en eau ont des réflectances parfaitement compatibles avec la gamme de réflectances possibles pour ‘Oumuamua.

On a, à nouveau, ici une caractéristique d’un objet naturel.

 

  1. Son accélération non gravitationnelle – les changements observés dans la vitesse orbitale de ’Oumuamua non dus à la gravité du Soleil – ne peut s’expliquer que par la présence d’un vaisseau spatial extraterrestre.

C’est le point le plus controversé et c’est un peu technique. Laissez-moi vous expliquer.

Moins d’une semaine après la découverte de ’Oumuamua, il est devenu trop peu lumineux pour être détecté par des télescopes, sauf les plus performants. Le télescope spatial Hubble a pu suivre sa position avec quelques mesures précises sur plus de deux mois, jusqu’en janvier 2018.

Les données ont montré que ‘Oumuamua n’a pas suivi une trajectoire purement déterminée par la gravité. Au contraire, en plus de la gravité, il semblait avoir été doucement éloigné du Soleil. Cette poussée supplémentaire est appelée une « accélération non gravitationnelle ».

La trajectoire d’Oumuamua à travers le Système solaire a été affecté par une accélération non gravitationnelle. Les données montrent que ‘Oumuamua n’a pas simplement suivi une trajectoire découlant de la seule gravité du Soleil (ligne verte). C’est ce qu’explique ce document. © ESA.

 

Ce n’est pas très surprenant en soi. De nombreuses comètes subissent une accélération non gravitationnelle. En effet, au fur et à mesure qu’elles se réchauffent à l’approche du Soleil, les glaces près de la surface d’une comète se vaporisent et créent des jets qui poussent la comète. Mais les jets changent aussi la rotation des comètes sur elles-mêmes.

Comment les jets d’une comète qui dégaze — si elle est asymétrique et mal alignée avec un axe de rotation — peuvent agir pour changer la rotation de la comète. © Nature .

 

La mesure avec laquelle les jets peuvent changer la rotation des comètes dépend du nombre de jets qu’il y a, de l’intensité des forces qu’ils exercent et de leur position par rapport à l’axe de rotation de la comète. Dans le cas de ’Oumuamua, qu’il y ait un ou plusieurs jets, nous n’en connaissons, par l’accélération qu’elle a provoquée, que la composante résultante totale.

S’il n’y avait eu qu’un seul jet, une étude a montré que ‘Oumuamua se serait sans doute mis à tourner de plus en plus vite jusqu’à dislocation par forces centrifuges. Ce qui n’a pas été observé.

Quelle leçon pouvons-nous tirer de tout cela ? Il y a deux possibilités.

Soit le modèle de jet unique utilisé dans cette étude ne décrit pas bien le phénomènes d’éjections qui ont eu lieu sur ‘Oumuamua, soit on doit éliminer l’hypothèse des jets.

Les tenants de l’hypothèse extraterrestre ont jeté le modèle des jets à la poubelle.

« Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité », selon la fameuse expression qu’Arthur Conan Doyle a mis dans la bouche de Sherlock Holmes. Le problème, c’est que tous les possibles n’ont pas été éliminés comme nous le verrons.

Une autre explication théoriquement possible de l’accélération non gravitationnelle de ’Oumuamua fait intervenir la pression du rayonnement solaire. La lumière possède en effet une quantité de mouvements qui peut exercer une poussée sur un objet dans l’espace. Mais la lumière n’a que très peu d’impulsion. Pour que la lumière pousse vraiment un objet, celui-ci doit en recueillir beaucoup sur une grande surface mais avoir une très petite masse. Il doit avoir donc avoir finalement une très, très faible densité.

En suivant cette idée de pression de radiation, une étude a proposé que ‘Oumuamua pourrait être un agglomérat de poussières très lâchement liées, poussé par la lumière du Soleil. Cela semble peu probable car un tel objet aurait probablement été démantelé par son passage près du Soleil.

Une autre solution est que ’Oumuamua aurait la taille d’un terrain de football, mais seulement quelques millimètres d’épaisseur. Cela en ferait une voile stellaire utilisant la lumière des étoiles comme un moyen de propulsion.

« Sous l’hypothèse d’une origine artificielle, une possibilité est une voile stellaire, flottant dans l’espace interstellaire comme débris d’un équipement technologique avancé », Avi Loeb. C’est le cœur de l’argumentation des tenants de l’hypothèse extraterrestre : cette voile solaire serait alors vraisemblablement un vaisseau spatial lancé vers la Terre par des extraterrestres intelligents.

Concept d’artiste d’une voile solaire. © Josh Spradling, The Planetary Society

Le concept de voile stellaire est très robuste. La pression de rayonnement a été utilisée comme moyen de contrôle de l’assiette de satellites et un certain nombre de missions spatiales à venir prévoient d’utiliser des voiles solaires pour la propulsion.

Mais l’idée que ‘Oumuamua soit une voile stellaire pose de gros problèmes.

‘Oumuamua tourne sur lui-même toutes les 7-8 heures d’une manière non-périodique. Mais pourquoi ‘Oumuamua tournerait-il s’il s’agissait d’une voile stellaire ? Ce n’est pas ainsi que fonctionnent ces voiles— elles doivent garder leurs collecteurs de lumière pointés vers une étoile ! Si ‘Oumuamua était une voile stellaire fonctionnelle, nous ne l’aurions pas vu tourner.

‘Oumuamua est également entré dans le Système solaire à une vitesse galactique modeste. Si des extraterrestres voulaient vraiment dire « bonjour », pourquoi l’ont-ils envoyé vers nous si lentement ? Tous les extraterrestres qui veulent réellement envoyer des sondes interstellaires sont supposés les envoyer un peu plus vite. Par exemple, le projet de voile stellaire Breakthrough Starshot vise à atteindre 20 % de la vitesse de la lumière !

La façon la plus simple d’expliquer ces problèmes avec ‘Oumuamua, c’est qu’il serait une voile stellaire qui a été utilisée par une sonde extraterrestre en panne. Une sonde un peu comme le cylindre géant dans Rendez-vous avec Rama mais, dans le cas présent, conçu par des extraterrestres qui ne pensaient pas à l’avenir et ne pouvaient pas faire de constructions parfaites.

Maintenant, revenons en arrière et prenons un autre chemin. Et si les jets de ’Oumuamua n’étaient tout simplement pas conformes aux hypothèses faites dans l’étude que nous avons citée précédemment ?

La façon dont la rotation des comètes change en raison du dégazage est un domaine de recherche actif. Et c’est plus compliqué que vous ne le pensez.

Ce que n’a pas considéré Avi Loeb, c’est qu’il existe d’autres études de ce type et qui ont montré qu’il existe des configurations simples qui peuvent rendre compte par un dégazage à la fois de la rotation et de l’accélération non gravitationnelle de ’Oumuamua. Voici le modèle de Darryl Seligman montrant comment le spin de ’Oumuamua, son moment cinétique propre de rotation, changerait si son jet (la flèche bleue en mouvement) pointait toujours vers le Soleil.

Une animation illustrant les idées de Darryl Seligman. © Darryl Seligman

En perdant environ 10 % de sa masse totale au fur et à mesure qu’il s’approchait du Soleil et plutôt dans la direction du Soleil, son spin aurait évolué d’une manière correspondant à ce qui a été observé.

Inutile de postuler des Aliens à l’origine de ‘Oumuamua ! Ce modèle simple montre qu’un dégazage du type de ceux des comètes peut expliquer à la fois l’accélération non gravitationnelle de ’Oumuamua et sa rotation.

Si on creuse un peu plus, on trouve toutefois que la glace d’eau est en fait incapable de fournir suffisamment d’impulsion pour pousser ‘Oumuamua. Il faut alors faire intervenir à sa place une glace moins commune comme celle d’azote ou plus exotique comme celle de l’hydrogène moléculaire (H2). Si ‘Oumuamua était un morceau de glace d’hydrogène, son passage près du Soleil expliquerait sa forme étirée, son accélération non gravitationnelle, et sa rotation par la même occasion.

Diagramme schématique montrant l’évolution de la taille et de la forme de ʻOumuamua en raison de la sublimation du dihydrogène et de sa trajectoire à travers le Système solaire. Des paires d’orientation en trois points discrets de la trajectoire sont affichées en haut à gauche. © Seligman et Laughlin (2020).

 

La glace d’hydrogène représente un matériau assez exotique et il n’est pas clair qu’elle survivrait assez longtemps lors d’un voyage à travers le Système solaire. De la glace d’azote serait plus crédible mais cela reste une hypothèse à tester entièrement.

Pour conclure : l’accélération non gravitationnelle de ’Oumuamua fait-elle pencher notre pensée vers des processus naturels ou extraterrestres ? Pour correspondre pleinement aux données, cela pourrait nécessiter des glaces inhabituelles, et cette idée est activement testée et confrontée à un certain nombre de contraintes. Si ‘Oumuamua était une voile stellaire, cela correspondrait à l’accélération non gravitationnelle observée. Mais cela n’est pas facilement compatible avec sa rotation.

En étant fidèle à l’esprit de Carl Sagan, cela conduit à adopter l’hypothèse de processus naturels, même s’ils sont, certes, imparfaitement compris.

 

Artefact étranger vs objet naturel

Aucun de ces cinq arguments ne convaincra quiconque, dont la tournure d’esprit serait celle de Sagan, qu’il s’agit bien de preuves extraordinaires de l’hypothèse de la voile stellaire extraterrestre. Chaque argument a été examiné au moyen d’investigations invoquant des processus naturels et, bien qu’il existe encore quelques incertitudes, ces raisonnements peuvent expliquer grossièrement les propriétés principales de ‘Oumuamua.

Qu’en est-il d’un penseur « Loebien » qui n’aurait pas besoin de preuves extraordinaires pour considérer l’hypothèse extraterrestre ? Les points 1 (le nombre d’objets interstellaires), 2 (trajectoire de ’Oumuamua) et 4 (brillance de ’Oumuamua) pointent irrésistiblement en direction de phénomènes naturels simples que nous comprenons. Je ne vois pas comment ils peuvent être interprétés de façon plausible comme une preuve de l’existence d’extraterrestres à la lumière des études actuelles.

La forme de ’Oumuamua est à coup sûr inhabituelle mais pas sans précédent parmi les objets du Système solaire. Bien qu’il existe plusieurs idées naturelles pour ses origines, une voile stellaire serait bien sûr très aplatie. Mais la forme qui a été déduite des variations de luminosité de ’Oumuamua pendant sa rotation, une voile stellaire – même cassée – peut-elle en rendre compte ? Une voile stellaire n’aurait-elle pas un rapport d’axe très supérieur à 6 ?

Enfin, si une accélération non gravitationnelle est exactement ce qu’une voile stellaire est conçue pour faire, des études montrent comment les comètes – bien qu’avec des glaces inhabituelles – peuvent correspondre à l’accélération non gravitationnelle, à la rotation et à la forme de ’Oumuamua simultanément.

Est-ce qu’une voile solaire peut expliquer toutes les propriétés de ‘Oumuamua ? Nous ne le savons pas, parce que personne ne l’a modélisé. C’est une critique qui vient du monde « Saganesque » : si l’hypothèse extraterrestre doit être prise au sérieux, où sont les études qui en découlent ?

Je dirais que tout indique que ‘Oumuamua est un objet naturel. Les « failles » dans les arguments en faveur d’un objet naturel font partie du processus de compréhension habituel. Une hypothèse pose des questions qui nécessitent d’autres études. Et de nouvelles études n’invoquant pas les extraterrestres viennent petit à petit préciser les contraintes sur la nature de ‘Oumuamua. Et, à ma connaissance, aucune nouvelle étude n’est même en cours pour tester l’idée d’artefact extraterrestre par la démarche scientifique.

Malgré ma divergence avec lui sur ‘Oumuamua, je suis d’accord avec Loeb et son incitation pour que les scientifiques gardent l’esprit ouvert. Parfois, des idées apparemment folles s’avèrent justes, et nous ne voulons pas éviter d’apprendre de nouvelles choses en nous cramponnant à de vieilles idées. ‘Oumuamua est un objet unique en son genre donc il y a vraiment besoin, pour nous, d’élargir nos perspectives. Bien sûr, les hypothèses faisant intervenir un objet naturel sont déjà des idées innovantes et aucun autre objet, de mémoire récente, n’a inspiré une telle variété d’idées : icebergs d’hydrogène, fragments de comète pré-éteintes, et bien d’autres…

Alors, allons de l’avant, gardons l’esprit ouvert. La recherche de la vie extraterrestre (y compris la vie intelligente) n’a rien de ridicule ; en fait, c’est un domaine florissant de l’astronomie. Et espérons que nous pourrons obtenir de meilleures données sur le prochain ‘Oumuamua — et peut-être même utiliser la sonde Comet Interceptor pour prendre quelques photos !

 

 

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